<324>ce que m'ont valu vingt années consumées à tâcher de plaire à ma nation, et quelquefois peut-être à l'instruire. Mais, encore une fois, V. A. R. m'aime, et je suis bien loin d'être à plaindre; elle daigne faire graver la Henriade; quel mal peut-on me faire qui ne soit au-dessous d'un tel honneur? Je viens d'acheter un Machiavel complet, exprès pour être plus au fait de la belle réfutation que j'attends avec ce que vous allez en écrire; je ne crois pas qu'il y en ait jamais de meilleure réfutation que votre conduite. Les hommes semblent tous occupés à présent à se détruire, et, depuis le Mogol jusqu'au détroit de Gibraltar, tout est en guerre; on croit que la France dansera aussi dans cette vilaine pyrrhique. C'est dans ce temps que V. A. R. enseigne la justice, avant d'exercer sa valeur. M'est-il permis de lui demander quand je serai assez heureux pour voir ces leçons d'équité et de sagesse?
J'ai vu les fusées volantes qu'on a tirées à Paris avec tant d'appareil; mais je voudrais toujours qu'on commençât par avoir un hôtel de ville, de belles places, des marchés magnifiques et commodes, de belles fontaines, avant d'avoir des feux d'artifice. Je préfère la magnificence romaine à des feux de joie; ce n'est pas que je condamne ceux-ci, à Dieu ne plaise qu'il y ait un seul plaisir que je désapprouve! mais, en jouissant de ce que nous avons, je regrette un peu ce que nous n'avons pas.
V. A. R. sait sans doute que Bouchardon et Vaucanson font des chefs-d'œuvre, chacun dans leur genre. Rameau travaille à mettre à la mode la musique italienne. Voilà des hommes dignes de vivre sous Frédéric; mais je les défie d'en avoir autant d'envie que moi.
Je suis, avec le plus profond respect et la plus tendre reconnaissance, de V. A. R., etc.