<345>Quand même la bise cruelle
De son souffle viendrait faner
Les fleurs, production nouvelle,
Dont Flore peut se couronner,
Le jardinier toujours fidèle,
Loin de se laisser rebuter,
Va de nouveau pour cultiver
Une fleur plus tendre et plus belle.
C'est ainsi qu'il faut réparer
Le dégât que cause l'orage;
Voltaire, achève ton ouvrage,
C'est le moyen de te venger.
Le conseil vous paraîtra intéressé; j'avoue qu'il l'est effectivement, car j'ai trouvé un plaisir infini à la lecture de l'Histoire de Louis XIV, et je désire beaucoup de la voir achevée. Cet ouvrage vous fera plus d'honneur, un jour, que la persécution que vous souffrez ne vous cause de chagrin. Il ne faut pas se rebuter si aisément. Un homme de votre ordre doit penser que l'Histoire de Louis XIV imparfaite est une banqueroute dans la république des lettres. Souvenez-vous de César, qui, nageant dans les flots de la mer, tenait ses Commentaires d'une main sur sa tête, pour les conserver à la postérité.a
Comme vous parlez de mes faibles productions, après n'avoir dit qu'un mot de vos ouvrages immortels!a Je dois cependant vous rendre compte de mes études. L'approbation que vous donnez aux cinq chapitres de Machiavel que je vous ai envoyés m'encourage à finir bientôt les quatre derniers chapitres. Si j'avais du loisir, vous auriez déjà tout l'Antimachiavel, avec des corrections et des additions; mais je ne puis travailler qu'à bâtons rompus.
Très-occupé pour ne rien faire,
Le temps, cet être fugitif,
S'envole d'une aile légère;
Et l'âge pesant et tardif
a Plutarque, Vie de Jules César, chap. XLIX, et Suétone, même sujet, chap. LXIV, parlent tous deux de papiers, sans mentionner expressément les Commentaires.
a Comment vous parler de mes faibles productions, après vous avoir parlé de vos ouvrages immortels? (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 88.)