<378>Leibniz. Il me paraît impossible aux hommes de raisonner sur les attributs et sur les actions du Créateur, sans dire des pauvretés. Je n'ai de Dieu aucune autre idée que d'un Être souverainement bon.
Je ne sais pas si sa liberté implique contradiction avec la raison suffisante, ou si des lois coéternelles à son existence rendent ses actions nécessaires et assujetties à leur détermination; mais je suis très-convaincu que tout est assez bien dans ce monde, et que si Dieu avait voulu faire de nous des métaphysiciens, il nous aurait assurément communiqué des lumières et des connaissances infiniment supérieures aux nôtres.
Il est fâcheux pour les philosophes qu'ils soient obligés de rendre raison de tout. Il faut qu'ils imaginent, lorsqu'ils manquent d'objets palpables. Avec tout cela, je suis obligé de vous dire que je suis très-satisfait de votre Traité de métaphysique. C'est le Pitt ou le grand Sancy,a qui, dans leur petit volume, renferment des trésors immenses. La solidité du raisonnement et la modération de vos jugements devraient servir d'exemple à tous les philosophes et à tous ceux qui se mêlent de discuter des vérités. Le désir de s'instruire paraît leur objet naturel, et le plaisir de se chicaner en devient trop souvent la suite malheureuse.
Je voudrais bien me trouver dans la situation paisible et tranquille où vous me croyez. Je vous assure que la philosophie me paraît plus charmante et plus attrayante que le trône; elle a l'avantage d'un plaisir solide; elle l'emporte sur les illusions et les erreurs des hommes; et ceux qui peuvent la suivre dans le pays de la vertu et de la vérité sont très-condamnables de l'abandonner pour celui des vices et des prestiges.
Sorti du palais de Circé,
Loin des cris de la multitude,
Je me croyais débarrassé
Des périls au sein de l'étude;
Plus qu'alors je suis menacé
D'une triste vicissitude,
Et par le sort je suis forcé
D'abandonner ma solitude.
a Deux diamants très-connus. (Note de l'édition de Kehl.)