<384>vous jugez si bien la métaphysique, et où vous êtes si aimable, si bon, si grand, en vers et en prose. Vous êtes bien mon Prométhée; votre feu réveille les étincelles d'une âme affaiblie par tant de langueurs et de maux; j'ai souffert un mois sans relâche. Je surpris, il y a quelques jours, un moment pour écrire à V. A. R., et mes maux furent suspendus. Mais je ne sais si ma lettre sera parvenue jusqu'à vous; elle était sous le couvert des correspondants du sieur David Girard; ces correspondants se sont avisés de faire banqueroute; j'ai l'honneur même d'être compris dans leur mésaventure, pour quelques effets que je leur avais confiés; mais mon plus précieux effet, c'est ma correspondance avec Marc-Aurèle. S'il n'y a point de lettre perdue, ils peuvent perdre tout ce qui m'appartient, sans que je m'en plaigne.
J'avais l'honneur, dans cette lettre, de dire à V. A. R. que je suis sur le point de rendre public ce catéchisme de la vertu, et cette leçon des princes dans laquelle la fausse politique et la logique des scélérats sont confondues avec autant de force que d'esprit. J'ai pris les libertés que vous m'avez données; j'ai tâché d'égaler à peu près les longueurs des chapitres à ceux de Machiavel; j'ai jeté quelques poignées de mortier dans un ou deux endroits d'un édifice de marbre. Pardonnez-moi, et permettez-moi de retrancher ce qui se trouve, au sujet des disputes de religion, dans le chapitre XXI.
Machiavel y parle de l'adresse qu'eut Ferdinand d'Aragon de tirer de l'argent de l'Église sous le prétexte de faire la guerre aux Maures, et de s'en servir pour envahir l'Italie. La reine d'Espagne vient d'en faire autant. Ferdinand d'Aragon poussa encore l'hypocrisie jusqu'à chasser les Maures pour acquérir le nom de bon catholique, fouiller impunément dans les bourses des sots catholiques, et piller les Maures en vrai catholique. Il ne s'agit donc point là de disputes de prêtres et des vénérables impertinences des théologiens de parti, que vous traitez ailleurs selon leur mérite.
Je prends donc, sous votre bon plaisir, la liberté d'ôter cette petite excrescence à un corps admirablement conformé dans toutes ses parties. Je ne cesse de vous le dire, ce sera là un livre bien singulier et bien utile.