<63>Je vous abandonne volontiers le divin Aristote, le divin Platon, et tous les héros de la philosophie scolastique. C'étaient des hommes qui avaient recours à des mots pour cacher leur ignorance. Leurs disciples les en croyaient sur leur réputation, et des siècles entiers se sont contentés de parler sans s'entendre. Il n'est plus permis, de nos jours, de se servir de mots que dans leur sens propre. M. Wolff donne la définition de chaque mot, il règle son usage; et, ayant fixé les termes, il prévient beaucoup de disputes qui ne naissent souvent que d'un jeu de mots, ou de la différente signification que les personnes y attachent.
Il n'y a rien de plus vrai que ce que vous dites de la métaphysique; mais je vous avoue que, indépendamment de cela, je ne saurais défendre à mon esprit, naturellement curieux, d'approfondir des mystères qui l'intéressent beaucoup, et qui l'attirent par les difficultés qu'ils lui présentent.
Vous me dites le plus poliment du monde que je suis une bête. Je m'en étais bien douté un peu jusqu'à présent; mais je commence à en être convaincu. A parler sérieusement, vous n'avez pas tort; et cette raison, prérogative dont les hommes tirent un si glorieux avantage, qui est-ce qui la possède? Des hommes qui, pour vivre ensemble, ont été obligés de se choisir des supérieurs et de se faire des lois pour s'apprendre que c'était une injustice de s'entre-tuer, de se voler, etc. Ces hommes raisonnables se font la guerre pour de vains arguments qu'ils ne comprennent pas;a ces êtres raisonnables ont cent religions différentes, toutes plus absurdes les unes que les autres; ils aiment à vivre longtemps, et se plaignent de la durée du temps et de l'ennui pendant toute leur vie. Sont-ce là les effets de cette raison qui les distingue des brutes?
On peut m'objecter les savantes découvertes des géomètres, les calculs de M. Bernoulli et de Newton; mais en quoi ces gens-là étaient-ils plus raisonnables que les autres? Ils passaient toute leur vie à chercher des propositions algébriques, des rapports de
a Henri IV dit dans la Henriade, chant II, v. 30-32 :
J'ai vu nos citoyens s'égorger avec zèle,
Et, la flamme à la main, courir dans les combats
Pour de vains arguments qu'ils ne comprenaient pas.