<107>Vous vous formalisez de ce que je vous crois de la passion pour la marquise du Châtelet; je pensais mériter des remercîments de votre part, de ce que je présumais si bien de vous. La marquise est belle, aimable; vous êtes sensible, elle a un cœur; vous avez des sentiments, elle n'est pas de marbre; vous habitez ensemble depuis dix années. Voudriez-vous me faire croire que pendant tout ce temps-là vous n'avez parlé que de philosophie à la plus aimable femme de France? Ne vous en déplaise, mon cher ami, vous auriez joué un bien pauvre personnage. Je n'imaginais pas que les plaisirs fussent exilés du temple de la Vertu, que vous habitez.
Quoi qu'il en soit, vous m'avez promis de me sacrifier quelques-uns de vos jours; ce qui me suffit. Plus je croirai que cette absence de la marquise vous coûte d'efforts, plus je vous en aurai de reconnaissance. Gardez-vous bien de me détromper.
J'entends déjà cent belles choses,
Toutes nouvellement écloses,
Et des bons mots sur tous sujets.
Juvénal lancera vos traits,
L'aimable Anacréon vous ceindra de ses roses,
Horace fera vos portraits,
Le bon, le simple La Fontaine
Fera tout naturellement
Quelque conte badin, sans gêne,
Que nous écouterons voluptueusement.
Ami, votre discernement
Mêlera ses préceptes graves,
Et mettra de justes entraves
A notre feu trop petillant.
Pour soutenir notre enjouement,
Et tout l'essor de la saillie,
Le vin d'Aï, nectar charmant,
Pourra vous servir d'ambroisie;
Et dans cette bachique orgie,
L'on saura fuir également
L'assoupissante léthargie,
Et le fougueux emportement.
Adieu, cher Voltaire; soyez juste envers vos amis. Sacrifiez aux autels de madame du Châtelet; mais, dans le commerce des