229. A VOLTAIRE.a
Potsdam, 13 février 1749.
Je reçois avec plaisir deux de vos lettres à la fois. Avouez-moi que ce grand envoi de vers vous a paru assez ridicule; il me semble que c'est Thersite qui veut faire assaut de valeur contre Achille. J'espérais qu'à vos lettres vous joindriez une critique de mes pièces, comme vous en usiez autrefois, lorsque j'étais habitant de Remusberg, où le pauvre Keyserlingk, que je regrette et que je regretterai toujours, vous admirait. Mais Voltaire, devenu courtisan, ne sait donner que des louanges; le métier en est, je l'avoue, moins dangereux. Ne pensez pas cependant que ma gloire poétique se fût offensée de vos corrections : je n'ai point la fatuité de présumer qu'un Allemand fasse de bons vers français.
La critique douce et civile
Pour un auteur est un grand bien;
Dans son amour-propre imbécile,
Sur ses défauts il ne voit rien.
Ce flambeau divin qui l'éclairé
Blesse à la vérité ses yeux,
Mais bientôt il n'en voit que mieux,
Il corrige, il devient sévère.
Qui tend à la perfection,
Limant, polissant son ouvrage,
Distingue la correction
De la satire et de l'outrage.
Ayez donc la bonté de ne point m'épargner; je sens que je pourrai faire mieux, mais il faut que vous me disiez comment.
Ne pensez-vous pas que de bien faire des vers est un acheminement pour bien écrire en prose? Le style n'en deviendrait-il pas plus énergique, surtout si l'on prend garde de ne point charger la prose d'épithètes, de périphrases, et de tours trop poétiques?
J'aime beaucoup la philosophie et les vers. Quand je dis philosophie, je n'entends ni la géométrie ni la métaphysique. La
a Cette lettre se trouve aussi t. XI, p. 148-153, avec quelques légères variantes.