<189>y avait deux avis différents sur cet ouvrage proscrit au théâtre. C'est même parce que cette Sémiramis était absolument abandonnée que j'ai osé en composer une. Je me garderais bien de faire Rhadamiste et Électre.

J'aurai l'honneur d'envoyer bientôt à V. M. ma Sémiramis, qu'on rejoue à présent avec un succès dont je dois être très-content. Vous la trouverez très-différente de l'esquisse que j'eus l'honneur de vous envoyer il y a quelques années. J'ai tâché d'y répandre toute la terreur du théâtre des Grecs, et de changer les Français en Athéniens. Je suis venu à bout de la métamorphose, quoique avec peine. Je n'ai guère vu la terreur et la pitié, soutenues de la magnificence du spectacle, faire un plus grand effet. Sans la crainte et sans la pitié, point de tragédies. Sire, voilà pourquoi Zaïre et Alzire arrachent toujours des larmes, et sont toujours redemandées. La religion, combattue par les passions, est un ressort que j'ai employé, et c'est un des plus grands pour remuer les cœurs des hommes. Sur cent personnes il se trouve à peine un philosophe, et encore sa philosophie cède à ce charme et à ce préjugé qu'il combat dans le cabinet. Croyez-moi, Sire, tous les discours politiques, tous les profonds raisonnements, la grandeur, la fermeté, sont peu de chose au théâtre; c'est l'intérêt qui fait tout, et sans lui il n'y a rien. Point de succès dans les représentations, sans la crainte et la pitié; mais point de succès dans le cabinet, sans une versification toujours correcte, toujours harmonieuse, et soutenue de la poésie d'expression. Permettez-moi, Sire, de dire que cette pureté et cette élégance manquent absolument à Catilina. Il y a dans cette pièce quelques vers nerveux; mais il n'y en a jamais dix de suite où il n'y ait des fautes contre la langue, ou dans lesquels cette élégance ne soit sacrifiée.

Il n'y a certainement point de roi dans le monde qui sente mieux le prix de cette élégance harmonieuse que Frédéric le Grand. Qu'il se ressouvienne des vers où il parle d'Alexandre, son devancier, dans une Épître morale,a et qu'il compare à ces vers ceux de Catilina, il verra s'il retrouvera dans l'auteur français le même nombre et la même cadence qui sont dans les vers d'un roi du Nord, qui m'étonnèrent. Quand je dis qu'il n'y a


a Épître à Hermotime. Voyez t. X, p. 75 et 76, et ci-dessus, p. 202.