<225>l'enchaînure des scènes est faite avec un grand art. Sémiramis inspire une terreur mêlée de pitié; le féroce et artificieux Assur, mis en opposition avec le fier et généreux Ninias, forme un contraste admirable; on déteste le premier, aussi ne lui arrive-t-il aucune catastrophe dans l'action, parce qu'elle n'aurait produit aucun effet; on s'intéresse à Ninias, mais on est étonné de la façon dont il tue sa mère; c'est le moment où il faut se faire la plus forte illusion; on est un peu fâché contre Azéma qu'elle porte des paquets, et que ses quiproquo soient la cause de la catastrophe. Toute la pièce est versifiée avec force; les vers me paraissent de la plus belle harmonie, et dignes de l'auteur de la Henriade. J'aime mieux cependant lire cette tragédie que de la voir représenter, parce que le spectre me paraîtrait risible, et que cela serait contraire au devoir que je me suis proposé de remplir exactement, de pleurer à la tragédie et de rire à la comédie.
Du temps de Plaute et d'Euripide,
Le parterre morigéné
Suivait ce goût sage et solide;
Par malheur, il est suranné.
Vous dirai-je encore un mot sur la tragédie? Les grandes passions me plaisent sur le théâtre; je sens une satisfaction secrète lorsque l'auteur trouve moyen de remuer et de transporter mon âme par la force de son éloquence. Mais ma délicatesse souffre lorsque les passions héroïques sortent de la vraisemblance; les machines sont trop outrées dans un spectacle; au lieu d'émouvoir, elles deviennent puériles. S'il fallait opter, j'aimerais mieux dans la tragédie moins d'élévation et plus de naturel.
Le sublime outré donne dans l'extravagance. Charles XII a été le seul homme de tout ce siècle qui eût ce caractère théâtral; mais, pour le bonheur du genre humain, les Charles XII sont rares. Il y a une Mariane de Tristan qui commence par ce vers :
Fantôme injurieux qui troubles mon repos ....
Ce n'est pas certainement comme nous parlons; apparemment que c'est le langage des habitants de la lune. Ce que je dis des vers doit s'entendre également de l'action : pour qu'une tragédie