265. DE VOLTAIRE.
Compiègne, 26 juin 1750.
Ainsi dans vos galants écrits,
Qui vont courant toute la France,
Vous flattez donc l'adolescence
De ce d'Arnaud que je chéris,
Et lui montrez ma décadence.b
Je touche à mes soixante hivers;
Mais si tant de lauriers divers
Ombragent votre jeune tête,
Grand homme, est-il donc bien honnête
De dépouiller mes cheveux blancs
De quelques feuilles négligées,
Que déjà l'Envie et le Temps
Ont, de leurs détestables dents,
Sur ma tête à demi rongées?
Quel diable de Marc-Antonin!
Et quelle malice est la vôtre!
Egratignez-vous d'une main,
Lorsque vous protégez de l'autre?
Croyez, s'il vous plaît, que mon cœur,
En dépit de mes onze lustres,
Sent encor la plus noble ardeur
Pour le premier des rois illustres.
Bientôt nos beaux jours sont passés;
L'esprit s'éteint, le temps l'accable;
Les sens languissent émoussés,
Comme des convives lassés
Qui sortent tristement de table.
Mais le cœur est inépuisable,
Et c'est vous qui le remplissez.
b Voyez, t. XIV, p. 110 et 111, les Vers (de Frédéric) à d'Arnaud, dont il est question dans cette lettre. Marmontel raconte, dans les Mémoires d'un père pour servir à l'instruction de ses enfants (vers la fin du quatrième livre), qu'il était chez Voltaire lorsque Thieriot apporta à celui-ci l'Épître de Frédéric à d'Arnaud-Baculard. Voltaire lut un moment en silence et d'un air de pitié : mais quand il en fut aux vers où Frédéric donne à entendre que Voltaire est à son couchant et d'Arnaud à son aurore, il se mit en fureur, et s'écria : « J'irai, oui, j'irai lui apprendre à se connaître en hommes! » Dès ce moment, son voyage à Berlin fut décidé.