<253>Je ne suis à Compiègne, Sire, que pour demander au plus grand roi du Midi la permission d'aller me mettre aux pieds du plus grand roi du Nord; et les jours que je pourrai passer auprès de Frédéric le Grand seront les plus beaux de ma vie. Je pars de Compiègne après-demain. Je suis exact; je compte les heures, elles seront longues de Compiègne à Sans-Souci. Il y a cent mille sots qui ont été à Rome cette année; s'ils avaient été des hommes, ils seraient venus voir vos miracles.
Clèves, 2 juillet.
Sire, j'avais envoyé ma lettre à votre chancelier de Clèves, et j'arrive aussitôt qu'elle; je la rouvre pour remercier encore V. M. Je suis arrivé me portant très-mal. En vérité, je vais à votre cour comme les malades de l'antiquité allaient au temple d'Esculape.
Ici j'acquiers un double grade;
Je suis de Votre Majesté
Et le sujet, et le malade.
Je fais ma cour à la naïade
De ce beau lieu peu fréquenté;
De son onde je bois rasade.
La nymphe, pleine de bonté,
A mes yeux a daigné paraître;
Elle m'a dit : « Ce lieu champêtre
Pourrait te donner la santé;
Mais vole auprès du Roi mon maître;
Il donne l'immortalité. »
J'y vole, Sire; j'arriverai mort ou vif. Je pars d'ici le 5; mon misérable état, et plus encore mon carrosse cassé, me retiennent trois jours.
Je supplie V. M. d'avoir la bonté d'envoyer l'ordre pour le Vorspann au commandant de Lippstadt, et de daigner me recommander à lui. C'est une chose affreuse pour un malade français, qui n'a que des domestiques français, de courir la poste en Allemagne. Érasme s'en plaignait il y a deux cents ans. Ayez pitié de votre malade errant.
Je recachette ma lettre, et je renouvelle à V. M. mon profond respect, et ma passion de voir encore ce grand homme.