<290>choses que par le style et cette noble hardiesse avec laquelle vous dites des vérités jusqu'aux rois. C'est un très-beau morceau, et qui doit vous combler d'honneur. La mort de madame Henrietteb fera qu'on jouera votre Rome sauvée plus tard que vous ne l'aviez cru.c Je suis malade depuis huit jours d'un rhume de poitrine et d'une ébullition de sang; mais le mal est presque passé. Je ne fais que lire, je n'écris plus; quand on a la mémoire aussi mauvaise qu'est la mienne, il faut de temps en temps relire ce qu'on a lu pour s'en rappeler l'idée, et pour bien savoir ce qui en vaut la peine. Ensuite de cela, je recommencerai à corriger mes misères. Votre feu est pareil à celui des vestales, il ne s'éteint jamais; le peu qui m'en est tombé en partage veut être attisé souvent, et encore est-il souvent près d'étouffer sous les cendres. Adieu. Ne pensez pas qu'il y ait plus de chênes que de roseaux dans le monde; vous verrez périr bien des personnes à vos côtés, et vous en surpasserez encore plus par votre nom, qui ne périra jamais.
306. DE VOLTAIRE.a
(Juillet 1752.)
Sire, vous contâtes hier l'histoire de Gustave Wasa avec une éloquence si animée, que vous nous enchantâtes tous. J'espère que, quand V. M. aura pris le fort Balbi,b et donné quelque combat paisible, elle s'amusera à mettre en vers ce qu'elle nous dit hier en prose d'une manière si vive et si touchante. En vérité, il y a un homme bien extraordinaire dans le monde :
Il est grand roi tout le matin,
Après dîner grand écrivain,
b Anne-Henriette, fille de Louis XV, née en 1727, morte le 10 février 1752.
c Rome sauvée fut représentée à Paris le 24 février.
a Cette lettre est tirée du journal Der Freymüthige, 1803, p. 6.
b Fort construit à Potsdam, au mois de juillet 1752, par Jean de Balbi, lieutenant-colonel du génie, pour l'instruction des officiers de l'armée prussienne.