<85>ultérieurement de cet ouvrage; c'est mon unique consolation, mon délassement, ma récréation. Vous qui ne travaillez que par goût et que par génie, ayez pitié d'un manœuvre en politique, et qui ne travaille que par nécessité.
Aurait-on dû présumer, cher Voltaire, qu'un nourrisson des Muses dût être destiné à faire mouvoir, conjointement avec une douzaine de graves fous que l'on nomme grands politiques, la grande roue des événements de l'Europe? Cependant c'est un fait qui est authentique, et qui n'est pas fort honorable pour la Providence.
Je me rappelle, à ce propos, le conte que l'on fait d'un curé à qui un paysan parlait du Seigneur Dieu avec une vénération idiote : « Allez, allez, lui dit le bon presbyte, vous en imaginez plus qu'il n'y en a; moi qui le fais et qui le vends par douzaines, j'en connais la valeur intrinsèque. »
On se fait ordinairement dans le monde une idée superstitieuse des grandes révolutions des empires; mais, lorsqu'on est dans les coulisses, l'on voit, pour la plupart du temps, que les scènes les plus magiques sont mues par des ressorts communs, et par de vils faquins qui, s'ils se montraient dans leur état naturel, ne s'attireraient que l'indignation du public.
La supercherie, la mauvaise foi et la duplicité sont malheureusement le caractère dominant de la plupart des hommes qui sont à la tête des nations, et qui en devraient être l'exemple. C'est une chose bien humiliante que l'étude du cœur humain dans de pareils sujets; elle me fait regretter mille fois ma chère retraite, les arts, mes amis et mon indépendance.
Adieu, cher Voltaire; peut-être retrouverai-je un jour tout ce qui est perdu pour moi à présent. Je suis avec tous les sentiments que vous pouvez imaginer, etc.