<93>ficateur trop mal écouté de ce monde, et que le roi philosophe sait parfaitement ce que le philosophe qui n'est pas roi s'efforce en vain de deviner. Je présume encore beaucoup de vos charitables intentions. Mais ce qui me donne une sécurité parfaite, c'est une douzaine de faiseurs et de faiseuses de cabrioles que V. M. fait venir de France dans ses États. On ne danse guère que dans la paix. Il est vrai que vous avez fait payer les violons à quelques puissances voisines; mais c'est pour le bien commun, et pour le vôtre. Vous avez rétabli la dignité et les prérogatives des électeurs. Vous êtes devenu tout d'un coup l'arbitre de l'Allemagne, et, quand vous avez fait un empereur, il ne vous en manque que le titre. Vous avez avec cela cent vingt mille hommes bien faits, bien armés, bien vêtus, bien nourris, bien affectionnés; vous avez gagné des batailles et des villes à leur tête; c'est à vous à danser, Sire. Voiture vous aurait dit que vous avez l'air à la danse; mais je ne suis pas aussi familier que lui avec les grands hommes et avec les rois, et il ne m'appartient pas de jouer aux proverbes avec eux.
Au lieu de douze bons académiciens, vous avez donc, Sire, douze bons danseurs. Cela est plus aisé à trouver, et beaucoup plus gai. On a vu quelquefois des académiciens ennuyer un héros, et des acteurs de l'Opéra le divertir.
Cet Opéra dont V. M. décore Berlin ne l'empêche pas de songer aux belles-lettres. Chez vous un goût ne fait pas tort à l'autre. Il y a des âmes qui n'ont pas un seul goût; votre âme les a tous, et si Dieu aimait un peu le genre humain, il accorderait cette universalité à tous les princes, afin qu'ils pussent discerner le bon en tout genre, et le protéger. C'est pour cela que je m'imagine qu'ils sont faits originairement.
Je connais quelques acteurs pour la tragédie, qui ne sont pas sans talents, et qui pourraient convenir à V. M.; car je me flatte qu'elle ne se bornera pas à des galimatias italiens et à des gambades françaises. Le héros aimera toujours le théâtre qui représente les héros. Puissiez-vous, Sire, jouir bientôt de toutes sortes de plaisirs, comme vous avez acquis toutes sortes de gloire! C'est le vœu sincère de votre admirateur, de votre sujet par le cœur, qui malheureusement ne vit point dans vos États; d'un