136. AU MÊME.
Remusberg, 8 août 1740.
Mon cher Voltaire, je crois que van Duren vous coûte plus de soins et de peines que Henri IV. En versifiant la vie d'un héros, vous écriviez l'histoire de vos pensées; mais en harcelant un scélérat, vous joutez avec un ennemi indigne de vous être opposé. Je vous ai d'autant plus d'obligation de l'affection avec laquelle vous prenez mes intérêts à cœur, et je ne demande pas mieux que de vous en témoigner ma reconnaissance. Faites donc rouler la presse, puisqu'il le faut, pour punir la scélératesse d'un misérable. Rayez, changez, corrigez et remplacez tous les endroits qu'il vous plaira. Je m'en remets à votre discernement.
Je pars dans huit jours pour Danzig, et je compte être le 22 à Francfort. En cas que vous y soyez, je m'attends bien, à mon passage, de vous voir chez moi. Je compte pour sûr de vous embrasser à Clèves ou en Hollande.
Maupertuis est autant qu'engagé chez nous; mais il me manque encore beaucoup d'autres sujets que vous me ferez plaisir de m'indiquer.
Adieu, charmant Voltaire; il faut que je quitte ce qu'il y a de plus aimable parmi les hommes, pour disputer le terrain à <22>toutes sortes de van Duren politiques, qui, pour surcroît de malheurs, n'ont pas des carmes pour confesseurs.24-a
Aimez-moi toujours, et soyez sûr de l'estime inviolable que j'ai pour vous.
24-a Allusion au roi Louis XV et au cardinal de Fleury, qui avaient pour confesseurs, non des carmes, mais des jésuites.