207. A VOLTAIRE.
Potsdam, 20 août 1743.
Je ne suis arrivé ici que depuis deux jours; j'y ai trouvé trois de vos lettres.
Le dieu de la raison et le dieu des beaux vers
Président tous les deux à vos brillants concerts;
Vous déridant le front et voulant nous instruire,
Vos vers de Juvénal empruntent la satire.
Contre vous le bigot n'aura pas jeu gagné,
Et de l'hysope au cèdre il n'est rien d'épargné.
Malheur à Mirepoix, si son panégyrique
Se prononce jamais en style académique!
Les Arts, qu'il offensa, pour venger leurs chagrins,
Renverseront sa tombe avec leurs propres mains;
Et la fade oraison que lui fera Neuville155-a
Aura même en sa bouche un air de vaudeville.
Je plains ceux qui ont le malheur de vous offenser, car avec quatre hémistiches vous les rendez ridicules ad saecula saeculorum.
Je ne vais point à Aix, comme je me l'étais proposé. Vous savez que j'ai l'honneur d'être un atome politique, et qu'en cette qualité mon estomac est obligé de prendre ses combinaisons des affaires européennes; ce qui ne l'accommode pas toujours.
Il me semble, mon cher Voltaire, que vous êtes un peu dans le goût de la girouette du Parnasse, et que vous ne vous êtes pas encore décidé sur le parti que vous avez à prendre. Je ne vous dirai rien là-dessus; car je dois vous paraître suspect dans tout ce que je pourrais vous dire. Le tableau que vous me faites de la France est peint avec de très-belles couleurs; mais, vous me <138>direz tout ce qu'il vous plaira, une armée qui fuit trois ans de suite, et qui est battue partout où elle se présente, n'est pas assurément une troupe de Césars ni d'Alexandres.
Je ne suis point peint, je ne me fais point peindre; ainsi je ne puis vous donner que des médailles. Vale.
155-a Voyez t. X, p. 250, et t. XI, p. 82.