208. AU MÊME.
Potsdam, 24 août 1743.
Le sera donc à Berlin156-a que j'aurai le plaisir de voir l'Apollon français descendre de son Parnasse en ma faveur, et s'humaniser un peu avec la canaille prosaïque! Je vous prie, mon cher Voltaire, apportez avec vous bonne provision d'indulgence, et surtout qu'aucun grammairien ne mesure à la toise la longueur de nos phrases, et ne nous punisse de la sottise d'un solécisme. Vous verrez une troupe de comédiens qui se forment, une académie naissante, mais surtout beaucoup de personnes qui vous aiment et qui vous admirent.
Il n'y a point à Berlin d'âne de Mirepoix. Nous avons un cardinal, et quelques évêques dont les uns font l'amour par devant et les autres par derrière, plus versés dans la théologie d'Épicure que dans celle de saint Paul, par conséquent bonnes gens qui ne persécutent personne, et qui ne disposent précisément que des charges de marguillier et des places de chantre, auxquelles vous n'aspirez point.
Apportez au moins, en venant,
Cette vierge si découplée
Qui brillait plus dans la mêlée
Que tous vos héros d'à présent;
Que ce Broglio toujours fuyant,
Réduisant sa troupe en fumée;
Que Maillebois toujours errant
<139>Menant promener son armée;
Que Ségur le capituleur,
Et les autres transis de peur.
Je vous montrerai de mes Mémoires ce que je croirai pouvoir vous montrer. Ils sont vrais, et par conséquent d'une nature à ne paraître qu'après le siècle.
Adieu, cher Voltaire; à revoir.
156-a Voltaire arriva à Berlin le 30.