254. DE VOLTAIRE.
Paris, 5 février 1750.
Du sein des brillantes clartés,
Et de l'éternelle abondance
D'agréments et de vérités
Dont vous avez la jouissance,
Trop heureux roi, vous insultez
Mon obscure et triste indigence.
Je vous l'avoue, un bon écrit
De ma part est chose très-rare;
Je ne suis que pauvre d'esprit,
Vous m'appelez d'esprit avare.
Mais il faut que le pauvre encor
Porte sa substance au trésor
De ces puissances trop altières;
Et le palais d'azur et d'or
Reçoit le tribut des chaumières.
Voici donc, Sire, un très-chétif tribut qui n'est pas dans le goût du comique larmoyant. Car il faut bien se tourner de tous les sens pour vous plaire.
<235>Comme j'allais continuer cette petite Épître, j'en reçois une de V. M. Celle-là prouve bien mieux encore l'immensité des richesses de votre génie. Ni vous ni personne n'a jamais rien fait de si bien, ou du moins de mieux que ces vers :
Des grandeurs et des petitesses,
Quelques vertus, plus de faiblesses, etc.
Je sens, à la lecture de cette lettre, que, si j'avais un peu de santé, je partirais sur-le-champ, fussiez-vous à Königsberg. Vous daignez demander Oreste; je vais le faire transcrire. Mais que V. M. ne s'attende pas à voir un Palamède. Il n'y en a point dans Sophocle.
A l'égard du prétendu Testament politique du cardinal de Richelieu, je réponds bien que madame d'Aiguillon n'en aura jamais l'original. Sire, on n'a jamais vu l'original de tous ces testaments-là. Indépendamment des misères dont ce livre est plein, je trouve qu'Armand est bien petit devant Frédéric.
........... Ceux dont l'imprudence
Dans d'indignes mortels a mis sa confiance.267-a
L'imprudence met sa confiance. L'imprudence ne mettent pas. Mais l'imprudence pourrait à toute force mettre leur confiance, en rapportant ce leur au dont. Ce serait une licence qui, en certains cas, serait permise.
Mon chancelier d'Olivet dirait le reste. Mais, quand j'écris au plus grand homme de notre siècle, je ne connais que le sentiment de l'admiration. L'enthousiasme fait oublier la grammaire. A vos genoux.
267-a Épître (de Frédéric) à Podewils. Voyez t. X, p. 180.