262. A VOLTAIRE.281-a
Potsdam, 24 mai 1750.
Pour une brillante beauté,
Qui tentait son désir lubrique,
<248>Jupiter avec dignité
Sut faire l'amant magnifique.
L'or plut, et son pouvoir magique
De cette amante trop pudique
Fléchit l'austère cruauté.
Ah! si, dans sa gloire éternelle,
Ce dieu si galant s'attendrit
Sur les appas d'une mortelle
Stupide, sans talents, mais belle,
Qu'aurait-il fait pour votre esprit?
Pour rendre son ciel plus aimable,
Près d'Apollon, près de Bacchus,
Il vous aurait mis à sa table,
Pour moitié vous donnant Vénus.
Son fils, enfant plein de malice,
Bandant son arc, riant de plus,
Vous aurait blessé par caprice;
Car dans ce séjour de délice,
L'amour n'est jamais de refus.
Hébé vous eût offert un verre
Rempli du plus exquis nectar;
Mais vous le connaissez, Voltaire,
Vous en avez bu votre part;
C'était le lait de votre mère.
Voilà comme le roi des dieux
Vous aurait traité dans les cieux.
Pour moi, qui n'ai point l'honneur d'être
L'image de ce dieu puissant,
Je veux, dans ce séjour champêtre,
Vous en procurer tout autant;
Je veux imiter cette pluie
Que sur Danaé son galant
Répandit très-abondamment;
Car de votre puissant génie
Je me suis déclaré l'amant.
Mais comme le sieur Mettra pourrait réprouver une lettre de change en vers, j'en fais expédier une en bonne forme par son correspondant, qui vaudra mieux que mon bavardage. Vous êtes <249><250>comme Horace, vous aimez à réunir l'utile à l'agréable;282-a pour moi, je crois qu'on ne saurait assez payer le plaisir, et je compte d'avoir fait un très-bon marché avec le sieur Mettra. Je payerai le marc d'esprit à proportion que le change hausse. Il en faut dans la société; je l'aime; et l'on n'en saurait trouver davantage que dans la boutique de Mettra.
Je vous avertis que je pars pour la Prusse, que je ne serai de retour ici que le 22 de juin, et que vous me ferez grand plaisir d'être ici vers ce temps. Vous y serez reçu comme le Virgile de ce siècle, et le gentilhomme ordinaire de Louis XV cédera, s'il lui plaît, le pas au grand poëte. Adieu; les coursiers rapides d'Achille puissent-ils vous conduire, les chemins montueux s'aplanir devant vous! puissent les auberges d'Allemagne se transformer en palais pour vous recevoir! les vents d'Éole puissent-ils se renfermer dans les outres d'Ulysse, le pluvieux Orion disparaître, et nos nymphes potagères se changer en déesses, pour que votre voyage et votre réception soient dignes de l'auteur de la Henriade!
281-a Cette lettre, tirée du Magasin encyclopédique, rédigé par Millin. Paris, 1799, t. I, p. 103 à 105, a été imprimée dans d'autres éditions, mais avec quelques légers changements dans les vers, et avec omission de la fin du premier alinéa en prose, depuis « Je payerai le marc d'esprit » jusqu'à « dans la boutique de Mettra. »
282-a Art poétique, v. 343. Voyez t. XXI, p. 353.