274. DE VOLTAIRE.

Février 1751.

Sire, je conjure Votre Majesté de substituer la compassion aux sentiments de bonté qui m'ont enchanté, et qui m'ont déterminé à passer à vos pieds le reste de ma vie. Quoique j'aie gagné ce procès, je fais encore offrir à ce juif de reprendre pour deux mille écus les diamants qu'il m'a vendus trois mille, afin de pouvoir me retirer dans la maison que V. M. permet que j'habite auprès de Potsdam. L'état où je suis ne me permet guère de me montrer, et j'ai besoin de faire des remèdes à la campagne pendant plus d'un mois. Permettez-moi de m'y aller établir la première semaine de mars, et de rester jusqu'au 5 ou au 6 mars dans votre château. C'est un homme assurément très-malade qui vous demande cette grâce. Songez aussi que c'est un homme qui n'a eu, en renonçant à sa patrie, que votre seule personne pour objet, et dont l'attachement ne peut être douteux. Puisque vous avez la bonté de me dire les choses qui vous ont déplu, cette bonté même m'assure que je ne vous déplairai plus. Il est bien sûr que je ne me suis pas donné à vous pour ne pas chercher à vous rendre ma conduite agréable, et que, quand on est conduit par le cœur, les devoirs sont bien doux.

Permettez-moi, Sire, de dire à V. M. que j'avais beaucoup connu Gross à Paris, qu'il m'était venu voir à Berlin, et que j'allai le prier de me faire venir un ballot de livres et de cartes de géographie que M. de Rasumowsky me devait envoyer. Je ne savais pas un mot de son rappel. Ce fut lui qui me l'apprit; et quand il m'en dit la raison, je me mis à rire. Je lui dis en vérité ce qui convenait, en pareille occasion, à un homme qui appre<264>nait cette aventure de sa bouche. C'est l'unique fois que je lui aie parlé, et l'unique ministre que j'aie vu, et je peux assurer V. M. que je n'en verrai aucun en particulier.

Pardonnez-moi si je vous ai présenté des lettres de madame de Bentinck. Je ne vous en présenterai plus.

A l'égard de la société, j'ose dire, Sire, que je ne crois pas y avoir mis la moindre apparence d'aigreur ni de trouble. S'il y avait même quelqu'un dont je pusse avoir à me plaindre, je jure à V. M. que tout serait oublié dans un instant, et que le bonheur d'être dans vos bonnes grâces me rendrait agréables ceux même qui, étant mal instruits de l'affaire du juif, auraient trop pris parti contre moi. Je ne crois pas qu'il puisse être revenu à V. M. que j'aie jamais dit un seul mot qui ait pu déplaire à personne. Daignez être très-sûr que jamais je ne mettrai même la moindre froideur dans le commerce avec aucun de ceux qui vous approchent; et sur cela je n'aurai pas à me vaincre.

Pour le juif, daignez, Sire, vous informer des juges s'il y a un homme plus inique et de plus mauvaise foi sur la terre. Il refuse, tout condamné qu'il est, les mille écus que je lui offre de gagner. Mais cela ne m'empêchera pas de profiter de la grâce que V. M. daigne me faire, et d'habiter la maison près de Potsdam, dont V. M. est encore suppliée de me laisser la jouissance jusqu'au printemps. Je sacrifierai tout pour venir goûter le repos auprès du séjour que vous rendez si célèbre par tout ce que vous y faites. Daignez me laisser espérer que je verrai vos dernières productions. Il n'y a point pour moi de consolation plus chère. Vous ne pouvez pas assurément douter, Sire, que je ne sois tendrement attaché à votre personne, et j'ose dire que je le suis à un point, que j'espère que V. M. me pardonnera tout.