276. DE VOLTAIRE.

Samedi (1751).

Sire, toutes choses mûrement considérées, j'ai fait une lourde faute d'avoir un procès contre un juif, et j'en demande bien pardon à V. M., à votre philosophie et à votre bonté. J'étais piqué, j'avais la rage de prouver que j'avais été trompé. Je l'ai prouvé, et après avoir gagné ce malheureux procès, j'ai donné à ce maudit Hébreu plus que je ne lui avais offert d'abord, pour reprendre ses maudits diamants, qui ne conviennent point à un homme de lettres. Tout cela n'empêche pas que je ne vous aie consacré ma vie. Faites de moi tout ce qu'il vous plaira. J'avais mandé à <266>S. A. R. madame la margrave de Baireuth que frère Voltaire était en pénitence. Ayez pitié de frère Voltaire. Il n'attend que le moment de s'aller fourrer dans la cellule du Marquisat. Comptez, Sire, que frère Voltaire est un bon homme, qu'il n'est mal avec personne, et surtout qu'il prend la liberté d'aimer V. M. de tout son cœur. Et à qui montrez-vous les fruits de votre beau génie, si ce n'est à votre ancien admirateur? Il n'a plus de talent, mais il a du goût, il sent vivement, et votre imagination est faite pour son âme. Il est tout pétri de faiblesses, mais assurément sa plus grande est pour vous. Il n'est point intéressé comme on vous l'a dit, et il ne cherche dans V. M. que vous-même. Il est bien malade, mais vos bontés lui rendront peut-être la santé; en un mot, sa vie est entre vos mains.

J'apprends que V. M. me permet de m'établir pour ce printemps au Marquisat. Je lui en rends les plus humbles grâces. Elle fait la consolation de ma vie.