<253>d'une compagnie, faire trembler ses détestables juges, et leur pardonner!
Le jugement que vous portez sur l'œuvre posthume d'Helvétius ne me surprend pas; je m'y attendais; vous n'aimez que le vrai. Son ouvrage est plus capable de faire du tort que du bien à la philosophie; j'ai vu avec douleur que ce n'était que du fatras, un amas indigeste de vérités triviales et de faussetés reconnues. Une vérité assez triviale, c'est la justice que l'auteur vous rend;a mais il n'y a plus de mérite à cela. On trouve d'ailleurs dans cette compilation irrégulière beaucoup de petits diamants brillants semés çà et là. Ils m'ont fait grand plaisir, et m'ont consolé des défauts de tout l'ensemble.
Je ne sais si je me trompe sur le roi de Pologne, mais je trouve qu'il a bien fait de se confier à V. M. Il a bien justifié l'ancien proverbe des Grecs : La moitié vaut mieux que le tout;b il lui en restera toujours assez pour être heureux. Où en serions-nous, s'il n'y avait de félicité dans ce monde que pour ceux qui possèdent trois cents lieues de pays en long et en large? Mustapha en a trop; je voudrais toujours qu'on le débarrassât de la fatigue de gouverner une partie de l'Europe. On a beau dire qu'il faut que la religion mahométane contre-balance la religion grecque, et que la religion grecque soit un contre-poids à la religion papiste, je voudrais que vous servissiez vous-même de contre-poids. Je suis toujours affligé de voir un pacha fouler aux pieds la cendre de Thémistocle et d'Alcibiade. Cela me fait autant de peine que de voir des cardinaux caresser leurs mignons sur le tombeau de Marc-Aurèle.
Sérieusement, je ne conçois pas comment l'Impératrice-Reine n'a pas vendu sa vaisselle, et donné son dernier écu à son fils l'Empereur, votre ami (s'il y a des amis parmi vous autres), pour qu'il aille, à la tête d'une armée, attendre Catherine II à Andrinople. Cette entreprise me paraissait si naturelle, si aisée, si convenable, si belle, que je ne vois pas même pourquoi elle n'a pas été exécutée; bien entendu qu'il y aurait eu pour V. M. un
a Frédéric est mis au nombre des grands rois dans cet ouvrage d'Helvétius, section I, chap. 9, note 5.
b Hésiode, Les Travaux et les Jours, v. 40.