<255>comme nous, mais vous gardez votre décorum. Pour nous autres chétifs mortels, nous cédons à toutes les impressions; je me suis mis à pleurer en lui parlant de vous et de madame la princesse sa mère; et, quoiqu'elle soit la nièce du premier capitaine de l'Europe, elle ne put retenir ses larmes. Il me paraît qu'elle a l'esprit et les grâces de votre maison, et que surtout elle vous est plus attachée qu'à son mari. Elle s'en retourne, je crois, à Baireuth, où elle trouvera une autre princesse d'un genre différent; c'est mademoiselle Clairon, qui cultive l'histoire naturelle, et qui est la philosophe de monsieur le margrave.
Pour vous, Sire, je ne sais où vous êtes actuellement; les gazettes vous font toujours courir. J'ignore si vous donnez des bénédictions dans un des évêchés de vos nouveaux Etats, ou dans votre abbaye d'Oliva; ce que je souhaite passionnément, c'est que les dissidents se multiplient sous vos étendards. On dit que plusieurs jésuites se sont faits sociniens; Dieu leur en fasse la grâce! Il serait plaisant qu'ils bâtissent une église à saint Servet; il ne nous manque plus que cette révolution.
Je renonce à mes belles espérances de voir les Mahométans chassés de l'Europe, et l'éloquence, la poésie, la musique, la peinture, la sculpture, renaissantes dans Athènes; ni vous, ni l'Empereur, ne voulez courir au Bosphore; vous laissez battre les Russes à Silistrie, et mon impératrice s'affermir pour quelque temps dans le pays de Thoas et d'Iphigénie. Enfin vous ne voulez point faire de croisade. Je vous crois très-supérieur à Godefroi de Bouillon; vous auriez eu pardessus lui le plaisir de vous moquer des Turcs en jolis vers, tout aussi bien que des confédérés polonais; mais je vois bien que vous ne vous souciez d'aucune Jérusalem, ni de la terrestre, ni de la céleste : c'est bien dommage.
Le vieux malade de Ferney est toujours aux pieds de V. M.; il est bien fâché de ne plus s'entretenir de vous avec madame la duchesse de Würtemberg, qui vous adore.
Le vieux malade.