<320>Je me garde encore davantage de faire imprimer mes billevesées; je ne fais de vers que pour m'amuser. Il faut être ou Boileau, ou Racine, ou Voltaire, pour transmettre ses ouvrages à la postérité; et je n'ai pas leurs talents. Ce qu'on a imprimé de mes balivernes n'aurait jamais paru de mon consentement. Dans le temps où c'était la mode de s'acharner sur moi, on m'a volé ces manuscrits, et on les a fait imprimer le moment même où ils auraient pu me nuire. Il est permis de se délasser et de s'amuser avec la littérature, mais il ne faut pas accabler le public de ses fadaises.
Ce poëme des Confédérés dont vous me parlez, je l'ai fait pour me désennuyer. J'étais alité de la goutte, et c'était pour moi une agréable distraction. Mais dans cet ouvrage il est question de bien des personnes qui vivent encore, et je ne dois ni ne veux choquer personne.
La diète de Pologne tire vers sa fin; on termine actuellement l'affaire des dissidents. L'impératrice de Russie ne vous a point trompé; ils auront pleine satisfaction, et l'Impératrice en aura tout l'honneur. Cette princesse trouvera plus de facilité à rendre les Polonais tolérants que vous et moi à rendre votre parlement juste et humain.
Vous me faites l'énumération des contradictions que vous trouvez dans le caractère de vos compatriotes; je conviens qu'elles y sont. Cependant, pour être équitable, il faut avouer que les mêmes contradictions se rencontrent chez tous les peuples. Chez nos bons Germains, elles ne sont pas si saillantes, parce que leur tempérament est plus flegmatique; mais chez les Français, plus vifs et plus fougueux, ces contradictions sont plus marquées : d'autant plus respectables sont pour eux ces précepteurs du genre humain qui tâchent de tourner ce feu vers la bienveillance, l'humanité, la tolérance et toutes les vertus. Je connais un de ces sages qui, bien loin d'ici, habite, dit-on, Ferney; je ne cesse de lui souhaiter mille bénédictions, et toutes les prospérités dont notre espèce est susceptible. Vale.