<339>avons su, monsieur, que le roi de France a le don de guérir les écrouelles; nous sommes venus pour nous faire toucher par Sa Majesté; mais, pour notre malheur, nous avons appris qu'il est actuellement en péché mortel, et nous voilà obligés de nous en retourner infructueusement sur nos pas; c'était Louis XV. Pour Louis XVI, on assure qu'il ne commettra de sa vie de péchés mortels; ce qui doit donner bon courage aux patients qui ont été touchés par lui.a
Vous aurez déjà reçu une longue lettre au sujet de Le Kain. Il doit partir dans peu pour jouer à Versailles une tragédieb de M. Guibert, le tacticien. Je n'ai point vu ce drame. Le Kain prétend que la reine de France protége la pièce; ce qui doit en assurer le succès Ce M. Guibert veut aller à la gloire par tous les chemins; recueillir les applaudissements des armées, des théâtres et des femmes, c'est un moyen sûr d'aller à l'immortalité.
Sans doute que ce qu'il a vu à Ferney l'a encouragé dans cette carrière périlleuse, où, de mille qui l'enfilent, un seul à peine remporte la palme. Il est louable de se proposer de grands exemples et un grand but; et M. Guibert en retirera infailliblement quelque avantage. On ne connaît ses propres talents qu'après en avoir fait l'essai.
Vos preuves sont faites depuis longtemps; il ne vous faut qu'un peu ménager l'huile de la lampe, pour qu'elle brûle longtemps encore. C'est à quoi je m'intéresse plus que madame Denis et votre ménagère suisse, qui vous fait quitter l'ouvrage quand elle craint qu'il ne nuise à votre santé. Elles n'ont qu'une idée confuse de ce que vaut le Patriarche de Ferney, et j'en ai une précise. Pour trouver un Voltaire dans l'antiquité, il faut rassembler le mérite de cinq ou six grands hommes, d'un Cicéron, d'un Virgile, d'un Lucien et d'un Salluste; et dans la renaissance des lettres, c'est la même chose : il faut englober un Guichardin, un Tasse, un Arétin, un Dante, un Arioste, et encore ce n'est pas assez; dans le siècle de Louis XIV, il manquera toujours pour l'épopée quelqu'un qui rende l'assemblage complet.
a La fin de cet alinéa, à partir de « sur nos pas, » est tirée des Œuvres posthumes, t. IX, p. 281.
b Le Connétable de Bourbon.