<396>Je ferais bien mieux de régler mes actions, et de m'empêcher de faire des folies, que de disséquer les ressorts qui meuvent les grandes monarchies.
Vous me parlez d'un auteur allemand qui se mêle aussi de diriger la politique européenne; je puis vous assurer que c'est un rêve-creux qui règle des partages à l'instar de ceux qui se firent en Pologne. Ce grand homme ignore que ces sortes de partages sont rares, et ne se répètent jamais durant la vie des mêmes hommes. Le peu de vérités qu'il y a dans les assertions de ce grand politique se réduit à la possibilité de nouveaux troubles qui s'élèvent en Crimée entre la Russie et la Porte, et à l'envie démesurée de l'Empereur de s'agrandir vers Andrinople. Ce prince est jeune et ambitieux; mes soixante-cinq ans passés doivent mettre mes intentions hors de soupçon. Ai-je le temps encore de faire des projets?
Je vous envoie ci-joint, au lieu de mauvais vers que j'aurais pu faire, un Choix des meilleures pièces de Chaulieu et de madame Deshoulières, que j'ai fait imprimera à mon usage et à celui de mes amis.
Pour en revenir au divin patriarche des incrédules, je crois qu'il fera bien de tromper ses ennemis; leur intention est de le chagriner; il ne doit leur opposer que de l'indifférence et du mépris. Et s'il se voit obligé de se retirer en Suisse, il pourra les régaler, dans ce pays libre, d'une pièce qui démasquera leur turpitude et leur scélératesse. Que la nature conserve divus Voltarius, et que j'aie encore longtemps la satisfaction de recevoir de ses nouvelles! Vale.
Vous me prendrez pour un vieux fou politique, en lisant ma lettre; je ne sais comment je me suis avisé de me constituer ministre du très-chrétien roi des Velches.
a A Berlin, chez G.-J. Decker, imprimeur du Roi, 1777, cent quatre-vingt-huit pages in-8.