<47>S'il ne peut prendre ce parti, celui de faire instruire Tronchin toutes les semaines de son état est le plus avantageux.
Comment avez-vous pu imaginer que je pusse jamais laisser prendre une copie de votre écrit adressé à M. le prince de Brunswic?a Il y a certainement de très-belles choses; mais elles ne sont pas faites pour être montrées à ma nation. Elle n'en serait pas flattée; le roi de France le serait encore moins; et je vous respecte trop l'un et l'autre pour jamais laisser transpirer ce qui ne servirait qu'à vous rendre irréconciliables. Je n'ai jamais fait de vœux que pour la paix. J'ai encore une grande partie de la correspondance de madame la margrave de Baireuth avec le cardinal de Tencin, pour tâcher de procurer un bien si nécessaire à une grande partie de l'Europe. J'ai été le dépositaire de toutes les tentatives faites pour parvenir à un but si désirable; je n'en ai pas abusé, et je n'abuserai pas de votre confiance au sujet d'un écrit qui tendrait à un but absolument contraire. Soyez dans un parfait repos sur cet article. Ma malheureuse nièce, que cet écrit a fait trembler, l'a brûlé, et il n'en reste de vestige que dans ma mémoire, qui en a retenu trois strophes trop belles.
Je tombe des nues quand vous m'écrivez que je vous ai dit des duretés. Vous avez été mon idole pendant vingt années de suite;
Je l'ai dit à la terre, au ciel, à Gusman même.aMais votre métier de héros et votre place de roi ne rendent pas le cœur bien sensible; c'est dommage, car ce cœur était fait pour être humain, et sans l'héroïsme et le trône, vous auriez été le plus aimable des hommes dans la société.
En voilà trop, si vous êtes en présence de l'ennemi, et trop peu, si vous étiez avec vous-même dans le sein de la philosophie, qui vaut encore mieux que la gloire.
Comptez que je suis toujours assez sot pour vous aimer, autant que je suis assez juste pour vous admirer; reconnaissez la franchise, et recevez avec bonté le profond respect du Suisse Voltaire.
a Voyez t. XII, p. 9-16.
a Alzire, ou les Américains, tragédie de Voltaire, 1736, acte III, scène IV.