387. AU MÊME.113-a

(Juillet 1766.)

Vous présumez mieux de moi que je ne le fais moi-même; vous me soupçonnez d'être l'auteur d'un Abrégé de l'Histoire ecclésiastique et de sa Préface.113-b Cela n'est guère plausible. Un homme sans cesse occupé de guerres ou d'affaires n'a pas le temps d'étudier l'histoire ecclésiastique. J'ai plus fait de manifestes durant ma vie que je n'ai lu de bulles. J'ai combattu des croisés, des gens avec des toques bénites, que le saint-père avait fortifiés dans le zèle qu'ils marquaient pour me détruire; mais ma plume, moins téméraire que mon épée, respecte les objets qu'une longue coutume a rendus vénérables. Je vois avec étonnement, par votre lettre, que vous pourriez choisir une autre retraite que la Suisse, et que vous pensez au pays de Clèves. Cet asile vous sera ouvert en tout temps. Comment le refuserais-je à un homme qui a tant fait d'honneur aux lettres, à sa patrie, à l'humanité, enfin à son siècle? Vous pouvez aller de Suisse à Clèves sans fatigue, si vous vous embarquez à Bâle; vous pouvez faire ce voyage en quinze jours, sans presque sortir de votre lit.

<101>J'ai lu avec plaisir la petite brochure113-c que vous m'avez envoyée; elle fera plus d'impression qu'un gros livre; peu de gens raisonnent, au lieu que chaque individu est susceptible d'émotion à la narration simple d'un fait. Il ne m'en fallait pas tant pour assister ces malheureux que le fanatisme prive de leur patrie dans le royaume le plus policé de l'Europe; ils trouveront des secours, et même un établissement, s'ils le veulent, qui pourra les soustraire aux atrocités de la persécution et aux longues formalités d'une justice que peut-être on ne leur rendra pas. Voilà ce que je puis faire, et ce que je m'offre d'exécuter, tant en faveur de l'auteur de la Henriade que de sa nièce, de son jésuite Adam, et de son hérétique Sirven. Je prie le ciel qu'il les conserve tous dans sa sainte garde.


113-a Cette lettre est tirée des Œuvres posthumes, t. IX, p. 372-374

113-b Voyez t. VII, p. 149-164.

113-c Avis au public sur les parricides imputés aux Calas et aux Sirven. Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XLII, p. 385-416.