497. A VOLTAIRE.
Potsdam, 18 novembre 1774.
Ne me parlez point de l'Élysée. Puisque Louis XV y est, qu'il y demeure. Vous n'y trouveriez que des jaloux : Homère, Virgile, Sophocle, Euripide, Thucydide, Démosthène et Cicéron, tous ces gens ne vous verraient arriver qu'à contre-cœur; au lieu que, <295>en restant chez nous, vous pouvez conserver une place que personne ne vous dispute, et qui vous est due à bon droit. Un homme qui s'est rendu immortel n'est plus assujetti à la condition du reste des hommes; ainsi vous vous êtes acquis un privilége exclusif.
Cependant, comme je vous vois fort occupé du sort de ce pauvre d'Étallonde, je vous envoie une lettre de Paris qui donne quelque espérance. Vous y verrez les termes dans lesquels le garde des sceaux s'exprime, et vous verrez en même temps que M. de Vergennes se prête à la justification de l'innocence. Cette affaire sera suivie par M. de Goltz; j'espère à présent que ce ne sera pas en vain, et que Voltaire, le promoteur de cette œuvre pie, en recevra les remercîments de d'Étallonde et les miens.
Si je ne vous croyais pas immortel, je consentirais volontiers à ce que d'Étallonde restât jusqu'à la fin de son affaire chez votre nièce; mais j'espère que ce sera vous qui le congédierez.
Votre lettre m'a affligé. Je ne saurais m'accoutumer à vous perdre tout à fait, et il me semble qu'il manquerait quelque chose à notre Europe, si elle était privée de Voltaire.
Que votre pouls inégal ne vous inquiète pas; j'en ai parlé à un fameux médecin anglais334-a qui se trouve actuellement ici; il traite la chose de bagatelle, et dit que vous pouvez vivre encore longtemps. Comme mes vœux s'accordent avec ses décisions, vous voulez bien ne pas m'ôter l'espérance, qui était le dernier ingrédient de la boîte de Pandore.
C'est dans ces sentiments que le Philosophe de Sans-Souci fait mille vœux à Apollon, comme à son fils Esculape, pour la conservation du Patriarche de Ferney.
334-a Le docteur William Baylies, conseiller intime et médecin du Roi.