<148>héros que j'aime est l'homme de tous les temps, de tous les lieux, grand dans ses victoires, plus grand peut-être dans ses revers, ne redoutant pas plus le chaos des affaires que les dangers de la guerre, jugeant avec la même justesse d'un système politique, d'un plan de finances, que de l'ordre d'une bataille, joignant enfin au discernement du bon le goût du beau. Si V. M. me trouve un peu difficile, songez, Sire, que notre siècle m'en a fourni l'idée, et que personne n'est moins en droit que vous de m'accuser que je me forge un être de raison. Il l'est si peu, que, si jamais je vais à Pretzsch, je verrai ce héros, je l'entretiendrai, et nous parlerons politique, finances, arts, littérature; car les génies lumineux comme V. M. répandent leurs lumières sur ce qui les approche. La chose que je vous dirai plus rarement que je ne la sentirai, c'est que rien ne peut altérer l'admiration et la haute estime avec laquelle je serai à jamais, etc.
94. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Le 1er février 1768.
Madame ma sœur,
J'ai bien cru qu'en plaidant ma cause au tribunal de votre équité, je serais mis hors de cour et de procès. V. A. R. est trop juste pour condamner des sentiments fondés sur la vérité et la vertu, et je vous avoue, madame, que j'ai mauvaise opinion de toute personne qui marque de l'insensibilité pour le mérite. Le bien de l'humanité veut qu'on en soit pénétré, pour l'encouragement de ceux qui en ont, et pour causer de l'émulation à ceux qui négligent leur âme et leurs talents. On dirait que V. A. R. sort de l'école des stoïciens; leur archétype, d'après lequel ils avaient peint leur sage, vous a sans doute, madame, servi de modèle pour votre héros. Il est bon de se proposer de grands exemples de perfection, quand même on n'y saurait atteindre. Je m'in-