<188>mes désirs; et si je ne puis, comme je le voudrais, passer ma vie à vous voir et vous entendre, au moins vous ne cessez un instant d'être présent à mon cœur. Pénétrée de reconnaissance et du plus inviolable, je n'ose dire du plus tendre attachement pour vous, que ne vous vois-je encore conduisant les affaires de l'Europe, répandant le bonheur sur vos sujets, et éclairant l'humanité par la philosophie que vous avez placée sur le trône dans le moment de vos amusements, qui à peine effleurent votre âme!
Avec tout autre prince que V. M., je prendrais mal mon temps en lui envoyant un traité de moralea pendant le carnaval; cependant en voici un de notre pauvre Gellert.b Je l'avais promis à V. M. Il vient de mourir fort regretté et fort digne de l'être. Il n'était pas seulement un fabuliste, il s'élevait plus haut; il était sage, honnête, juste, et il enseignait aux autres à l'être. Voilà ses droits pour être lu du plus grand des princes, et voilà surtout le sujet des regrets que nous lui donnons. Ces gens qui apprennent aux hommes les devoirs de l'humanité doivent être chers à l'univers.
Mais le plaisir suprême d'entretenir V. M. m'entraîne, et la crainte d'ennuyer Frédéric m'oblige de renfermer en peu de mots l'article sur lequel je désirerais le plus de m'étendre : ce sont les vœux que je fais pour vous, Sire. Puissiez-vous être autant élevé au-dessus des hommes par la durée et par la mesure de vos prospérités que vous l'êtes par cette âme sublime, l'objet de l'admiration constante et de la haute estime avec laquelle je ne cesserai d'être, etc.
Je rends mille très-humbles grâces à V. M. pour le poisson de mer qu'elle a bien voulu m'envoyer.
a Il s'agit probablement ici d'un manuscrit du cours de morale de Gellert à l'usage de la jeunesse académique, que l'électeur de Saxe avait demandé à l'auteur. Voyez C. F. Gellerts sämmtliche Schriften. Nouvelle édition. Leipzig, 1775, t. X, p. 162. Ses Moralische Vorlesungen ne parurent qu'en 1771. Voyez t. VII, p. 108, et t. XVIII, p. 222 de notre édition.
b Le nom de Gellert est omis dans l'autographe. Cet écrivain, né le 4 juillet 1715, mourut le 13 décembre 1769.