<195>je suis plus que persuadée que, en vous arrachant un ouvrage aussi précieux, j'ai mieux mérité de l'univers que si j'avais envoyé tous les savants académiciens de la terre à ses quatre plages pour mesurer un degré du méridien, ou pour observer les révolutions d'une planète. Grâces à votre ouvrage, que j'ai lu et relu, et grâces à vos poissons, Sire, mon esprit et mon corps ont été également nourris pendant le carême qui vient de passer. Je crains seulement qu'il ne me soit pas fort méritoire; car, avec de tels avantages, un carême vaut bien le carnaval le plus délicieux.
A propos de carnaval, je vois qu'on a parlé à V. M. de mon bal de vieilles femmes. Il était assez plaisant de voir ces bonnes dames commencer par faire la petite bouche, s'animer ensuite par degrés, et finir par danser, à l'envi de leurs petites-filles, des contredanses à tout rompre. Que n'y étiez-vous, Sire! Nous aurions bien ri et réfléchi sur les replis singuliers du cœur humain. Si j'étais sûre d'attirer V. M. ici, j'irais, dansant à la tête de toutes nos vieilles dames, vous recevoir jusque sur la frontière; mais comme vous pourriez bien n'être pas aussi amateur que les Hébreuxa de ce genre de spectacle, je dois me contenter à repasser dans mon imagination les agréables idées que j'ai puisées dans votre beau palais, au sein des arts et des sciences, et surtout de la sagesse, et à soupirer après le retour de ces délicieux moments. Recevez, Sire, avec votre bonté ordinaire les assurances sans bornes de l'admiration et du parfait et respectueux attachement avec lequel je suis, etc.
127. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
1er mai 1770.
Madame ma sœur,
La lettre de Votre Altesse Royale a calmé les remords dont j'étais agité pendant quelque temps. Je me reprochais que, malade et
a Exode, chap. XXXII, v. 18 et 19.