<228>sants de la terre, l'animosité dure tant que leur bourse est remplie, et c'est de leur sac vide que sort la paix pour consoler la pauvre humanité. Mes bons offices suffiront donc probablement jusqu'au temps que le dernier rouble et le dernier roupantia paraisse. C'est le tableau de l'infirmité de mes efforts que je présente à V. A. R. Je commence à craindre que ce ne sera qu'à la fin de l'année prochaine qu'on parviendra à rapprocher les parties. Voilà, madame, bien des peines inutiles. Je m'en console sur la foi des philosophes, qui prétendent que la vie de l'homme se passe à s'occuper de sottises, à élever, à détruire, et qu'il est des hochets pour les politiques tout comme pour les enfants.b Cela peut être véritable jusqu'à certain point; mais personne ne me persuadera jamais que ce ne soit une occupation très-sage et très-utile d'admirer, quand l'occasion s'en présente, l'assemblage précieux de vertus et de talents qui se trouvent réunis dans une grande princesse; et quand encore cette princesse joint à tant d'avantages une indulgence et une affabilité extrême, je crois, tout bon chrétien qu'on soit, qu'on peut être tenté de lui ériger des autels. J'ai le bonheur de connaître précisément une telle princesse, et une de mes méditations favorites, c'est de repasser souvent en ma pensée le choix rare des dons exquis dont la nature l'a avantagée. C'est, me dis-je, le plus bel ornement de l'Allemagne; c'est le phénix des grandes princesses. J'agis comme les initiés des mystères de Cérès Éleusine, qui gardaient le secret sur leurs mystères,a comme les Juifs, qui gardaient pour eux le nom de Jéhovah.b Je ne dirai point le nom de cette grande princesse; il a son tabernacle en mon cœur, et, quoi que fasse V. A. R., elle ne me le fera pas divulguer; et comme elle est trop modeste pour le deviner, je crains qu'elle ne l'ignore pour toujours. C'est avec la plus haute considération et les sentiments de la plus véritable estime que je suis, etc.
a Le mot roupanti nous est inconnu; peut-être Frédéric a-t-il voulu écrire rup ou roup, monnaie turque qui vaut un quart de piastre.
b Voyez t. XXIII, p. 407.
a Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XV, p. 165 et suivantes.
b Exode, chap. III, v. 13, 14 et suivants.