<240>donnerais le moins, et dont je ne serais que trop punie par la plus sensible des privations, celle de vos lettres; et si jamais je tombe dans de pareilles fautes, ce ne sera que parce qu'il n'est donné qu'à vous seul, Sire, de trouver du temps pour tout, même au milieu des courses et des distractions. Depuis que j'ai quittéa Dresde, j'ai toujours été par voie et par chemin. Je voulais voir le plus riant point de la pompe et de l'appareil, comme j'avais vu celui de la gloire il y a deux ans; et, pressée d'arriver à Rome pour la semaine sainte, je n'ai pu m'arrêter que peu de jours à Munich. Je comptais d'aller de là aussi vite qu'Arioste faisait voyager son Astolphe monté sur l'hippogriffe; mais, ne pouvant comme lui planer dans les airs, j'ai éprouvé tous les désagréments des routes gâtées et des gîtes mal pourvus. Me voici à Venise, après avoir parcouru une partie de l'État ecclésiastique, du Napolitain jusqu'au Vésuve, et de la Lombardie. J'ai vu Rome, et, chemin faisant, tout ce que j'avais lu, et que Frédéric a lu et entendu mieux que moi. On ne m'a pas laissée manquer d'académie, ni chômer de mauvaise musique (telle que l'opéra qui m'écorche tous les jours les oreilles, et dont pica fait tout l'ornement). On m'a donné en glaces et en rafraîchissements de quoi rafraîchir pour longtemps tous les habitants de la zone torride. J'ai été reçue comme une bonne ouaille du saint-père, si digne de la tiare qu'il porte, qui a tant de conduite, dans un temps où il est si difficile pour lui d'en avoir, et qui sauve au moins tout ce qu'il est possible de sauver. Il voudrait ramener la paix dans son bercail; mais il a bien plus de peine à accorder la théologie et la hiérarchie avec la politique que V. M. n'en a à accorder les Turcs et les Russes. Jouissez tranquillement, Sire, de vos triomphes guerriers et pacifiques, dans le sein d'une famille adorable; mais souvenez-vous qu'il y a actuellement une personne, dans les heureuses contrées d'Italie, qui par son cœur appartient à cette famille, et qui se pique de ne lui céder en rien


a Le mot quitté manque dans le manuscrit.

a Le mot pic est fidèlement copié sur l'autographe. Il se peut que l'Électrice ait voulu parler de Piccinni, qui était alors en Italie, au comble de sa gloire. Ce compositeur se rendit, en 1776, à Paris, où il fut le rival de Gluck. Nicolas Piccinni, né en 1728 à Bari, dans le royaume de Naples, mourut en 1800 à Passy, près de Paris.