Sans-Souci, 9 novembre 1780.
Votre Majesté m'a confondu hier par une critique sévère, mais que je ne saurais que trouver juste, du livre que je lui ai présenté. Il me paraît pourtant que la fin de ce conte est si élevée, et se rapproche si fort des règles que V. M. m'a lues hier, que je hasarde de le lui présenter encore une fois, et de soumettre à son bon plaisir si elle ne voudrait pas en lire quelques pages depuis celle de 62. On y représente comme le plus beau un vieux ex-ministre qu'un des princes avait retrouvé et ramené à la cour de son père, qui, après en avoir été chassé par les calomnies d'un rival culbuté ensuite, recueille celui-ci, et le rend vertueux. Il semble que ce conte étale des sentiments fort beaux, énoncés avec force, élégance et précision, et qu'il retrace le souvenir de Télémaque et d'Idoménée. Je ne me crois pourtant pas juge compétent, et je demande pardon à V. M. de la liberté que je prends de l'importuner encore une fois.
[Frédéric à M. de Hertzberg, (Sans-Souci, 9 novembre 1780)]
Sa Majesté renvoya bientôt ce livret, avec cette réponse :
Ceci est plus passable que ce que j'ai lu hier; mais toutefois dans deux pages il y a deux fautes.b Les brennende Wangen (joues brûlantes) peuvent avoir lieu chez un homme transporté de colère ou pris de vin; mais ici c'est une fausse épithète, qui ne convient point à un prince qui se réjouit. Je suis trop sincère pour applaudir à de telles fautes.
Frédéric à M. de Hertzberg, (Sans-Souci), 10 novembre 1780
M. le comte de Hertzberg étant retourné à Berlin, le Roi lui envoya son ouvrage De la littérature allemande, etc., accompagné de la lettre suivante :
10 novembre 1780.
Voici le reste de mon ouvrage, qu'on a copié; j'y ai fait de petites corrections, et je l'abandonne à votre examen, ainsi qu'à la
b Le Roi avait mis de sa main, page 62 de l'ouvrage de Nicolai, gerunzelte au lieu de gespannte Stirn (front ridé, au lieu de tendu), et p. 63, aux mots brennende Wangen, il avait noté : « Hyperbole impertinente. »