10. DU MÊME.
Paris, 23 décembre 1762.
Sire,
J'ai respecté, suivant la loi que je me suis toujours imposée, les occupations de V. M. durant cette campagne; elles ont d'ailleurs été si brillantes, que je me serais fait un scrupule de les troubler, quelque pressé que je fusse d'arracher bien ou mal les traits dont V. M. me perce impitoyablement dans la charmante Épître qu'elle m'a fait l'honneur de m'adresser.a A présent, Sire, que le maréchal Daun vient de terminer ses glorieuses expéditions, ce serait à moi indigne à lui succéder; car le sort de V. M. est d'être toujours en guerre, l'été avec les Autrichiens, l'hiver avec la géométrie. Mais, Sire, puisque la fière et redoutable maison d'Autriche a la modestie de se tenir pour battue, l'humble géométrie ne sera pas plus difficile; elle n'a rien de mieux à faire que d'imiter MM. de Bamberg et de Würzbourg, c'est-à-dire, de payer et de se taire.b
Je n'ai presque plus d'espérance de revoir V. M.; je ne sais plus quand finira cette guerre affreuse et destructive. Je sais seulement, et toute l'Europe le sait comme moi, qu'il ne tient pas à V. M. que l'humanité ne respire enfin après tant de malheurs. Mais puisque vos ennemis ne sont point encore las de faire égorger et périr de misère un si grand nombre d'hommes, il me sera du moins permis, à présent que la maison d'Autriche n'est plus notre alliée, de donner un libre cours à mes vœux; de souhaiter à V. M. tous les succès et toute la gloire que méritent sa grandeur d'âme, son courage, ses talents et ses travaux; de souhaiter surtout que sa tranquillité et celle de ses peuples soient bientôt assurées par une paix durable et glorieuse, quand même, au grand scandale de la géométrie, le traité devrait être en vers.
Je suis avec le plus profond respect, etc.
a Voyez t. XII, p. 250-254.
b Voyez t. V, p. 240.