<383>voyer. Ma foi est si aveugle sur les connaissances que vous me communiquez, que si quelqu'un venait à disputer sur ces matières, pour trancher toute difficulté, je lui répondrais comme les disciples de Pythagore : Il l'a dit.
Il est bien fâcheux que l'art des conjectures soit si incertain; j'en ai fait souvent l'expérience. J'ai cru que si je me trompais, c'était ma faute, mais que l'art n'en avait pas moins des règles sûres. J'avais imaginé de m'attacher un certain philosophe qui a beaucoup de mérite, et j'avais raisonné ainsi : Un homme auquel on ne rend pas justice dans sa patrie, et qu'on y persécute même, doit se sentir disposé à chercher un asile où il puisse passer sa vie avec tranquillité. Où le trouvera-t-il, cet asile, que chez un philosophe? Donc ce philosophe persécuté doit nécessairement embrasser ce parti, que la raison et que la justice qu'il se doit à lui-même autorisent, et exigent en quelque manière de lui. Cependant je me suis trompé, et j'ai, depuis, renoncé à tout ce qui est conjecture. J'ai sans doute écrit quelque journal d'événements qui, se confondant dans la foule, seront oubliés bientôt. Qu'est-ce que la relation d'une petite fièvre que l'Europe a eue pendant quelques années, en comparaison de ces grandes maladies qu'elle a faites de siècle en siècle, et qui ont pensé la bouleverser plus d'une fois? Vos ouvrages, mon cher d'Alembert, dureront, quand il ne sera plus question de cette fureur épidémique qui avait gagné les grandes puissances de l'Europe, et dont nous avons pensé être la victime. Ces faits sont récents encore, et ils nous intéresseront jusqu'à ce que nous ayons rebâti les maisons abattues, et réparé les dévastements des incendies. Mais après cela, les choses présentes, l'objet qui frappe actuellement, attirent toute l'attention des hommes, et le passé est mis en oubli; au lieu que quiconque sait éclairer et instruire l'univers devient le précepteur des races futures, et les instruit de siècle en siècle, à mesure qu'il en naît de nouvelles. Voilà la différence de nos travaux; les miens ne dureront qu'un temps, au lieu que les vôtres, semblables aux merveilles d'Égypte, méritent la devise de l'Académie française : A l'éternité. Vos ouvrages ont droit d'y prétendre; pour vous, je vous prie d'y aller le plus tard que vous pourrez. Vous devriez prendre des eaux apéritives, car je