<451>notre petit tas de boue, vous voyez que les souverains voyagent pour s'instruire. Vous avez joui à Paris de la vision béatifique du roi de Danemark; il est juste que Rome jouisse de celle de l'Empereur, qui vaut un peu mieux que ce roi du Nord. C'est le premier empereur, depuis le temps du Bas-Empire, que cette capitale du monde ait reçu dans ses murs sans une suite de conquérants qui l'accompagnent. Ce prince a donné de sages instructions aux cardinaux assemblés au conclave; il est à souhaiter qu'ils les suivent. Mais il est apparent que le Saint-Esprit, voyageant à son tour, aura passé par Madrid et Versailles pour instruire les électeurs sur le choix du successeur de Céphas; il est encore très-plausible que ce nouveau pontife ne sera intronisé qu'à condition qu'il supprime totalement l'ordre des jésuites. Pour moi, je fais gloire d'en conserver les débris en Silésie et de ne point aggraver leur malheur, tout hérétique que je suis. Quiconque, à l'avenir, voudra voir un ignatien, sera obligé de se rendre en Silésie, seule province où il retrouvera des reliques de cet ordre, qui naguère disposait presque despotiquement des cours de l'Europe. Vous vous ressentirez avec le temps, en France, de l'expulsion de cet ordre, et l'éducation de la jeunesse en souffrira les premières années. Cela vous vient d'autant plus mal à propos, que votre littérature est sur son déclin, et que de cent ouvrages qui paraissent, c'est beaucoup d'en trouver un passable.
Je ne connais point ce poëme de Saint-Lambert dont vous me parlez, mais je l'attends avec cette prévention à laquelle votre suffrage me dispose. Je ne connais ni la gazette du Bas-Rhin, ni celle de Hollande, encore moins celle de Paris. Je sais qu'un Français, votre compatriote, barbouille régulièrement par semaine deux feuilles de papier à Clèves; je sais qu'on achète ces feuilles, et qu'un sot trouve toujours un plus sot pour le lire;a mais j'ai bien de la peine à me persuader qu'un écrivain de cette trempe puisse porter préjudice à votre réputation.b Ah! mon bon d'Alembert, si vous étiez roi d'Angleterre, vous essuieriez
a Voyez t. X, p. 157; t. XIV, p. 294; et t. XIX, p. 137.
b Voyez t. XXIII, p. 408, et Friedrich der Grosse, eine Lebensgeschichte, par J.-D.-E. Preuss, t. III, p. 258 et 259.