<477>m'instruire. S'il s'agissait de plaisanter, je terrasserais bien vite la difficulté que vous me faites naître, en répondant que ce n'est pas à un Français à la proposer, à un Français qui voit honorer chez lui les plus gros voleurs, et rouer ceux qui ont pris trop peu. Vous voyez aborder toute la France chez vos fermiers généraux, chez vos receveurs, vos trésoriers, etc., tous gens qui font métier de dépouiller votre roi et son royaume. Mais j'abandonne cette défense de ma cause, qui n'est pas digne de sa gravité ni de son importance, et reprenant mon sérieux et ma physionomie de pédagogue, je vous dirai que le cas, mon cher d'Alembert, que vous me proposez ne peut presque pas arriver, parce que tous les cœurs ne sont pas également endurcis, et qu'il se trouve dans toutes les communautés et dans toutes les sociétés de bonnes âmes, sensibles aux cris de la misère. Toutefois, si par impossible il se trouvait une famille dépourvue de toute assistance et dans l'état affreux où vous la dépeignez, je ne balancerais pas à décider que le vol lui devient légitime : 1° parce qu'elle a éprouvé des refus, au lieu de recevoir des secours; 2° parce que se laisser périr, soi, sa femme et ses enfants, est un bien plus grand crime que de dérober à quelqu'un de son superflu; 3° parce que l'intention du vol est vertueuse, et que l'action en est d'une nécessité indispensable; je suis même persuadé qu'il n'est aucun tribunal qui, ayant bien constaté la vérité du fait, n'opinât à absoudre un tel voleur. Les liens de la société sont fondés sur des services réciproques; mais si cette société se trouve composée d'âmes impitoyables, tous les engagements sont rompus, et l'on rentre dans l'état de la pure nature, où le droit du plus fort décide de tout.
Voilà ce qu'un philosophe ébauché peut répondre au grand Anaxagoras, qui s'amuse de ce balbutiage. Vous me proposez ensuite en peu de mots une question à laquelle je ne pourrais répondre, selon le noble usage tudesque, que par un gros in-folio. Comment, mon cher Anaxagoras, ne voyez-vous pas dans quelle discussion je ne pourrais me dispenser d'entrer pour détailler toute cette matière? Je me resserrerai donc le plus que possible pour vous satisfaire. Si nous nous plaçons au premier jour du monde, et que vous me demandiez s'il est utile de tromper le