<483>atroce qu'absurde de voir les uns regorger de superflu, et les autres manquer du nécessaire. Mais, dans les grands États surtout, ce mal est irréparable, et on peut être forcé de sacrifier quelquefois des victimes, même innocentes, pour empêcher que les membres pauvres de la société ne s'arment contre les riches, comme ils seraient tentés et peut-être en droit de le faire.
Quant à la seconde question : s'il est utile de tromper le peuple, je pense d'abord, comme V. M., que si l'erreur et la superstition ne sont pas encore existantes dans une nation, il faut s'opposer à leur naissance par tous les moyens possibles; je pense encore avec elle que si elles sont en vigueur, il ne faut pas les attaquer violemment, parce que ce zèle impétueux ne servirait qu'à charger la philosophie d'un crime infructueux. Mais je pense en même temps qu'il faut, au lieu de force, user de finesse et de patience, attaquer l'erreur indirectement et sans paraître y penser, en établissant les vérités contraires sur des principes solides, mais en se gardant bien de faire aucune application. Il ne faut pas braquer le canon contre la maison, parce que ceux qui la défendent tireraient des fenêtres une grêle de coups de fusil; il faut petit à petit élever à côté une autre maison plus habitable et plus commode; insensiblement tout le monde viendra habiter celle-ci, et la maison pleine de léopards sera désertée.
Le Catéchisme de morale que V. M. m'a fait l'honneur de m'envoyer me paraît très-propre à la jeune noblesse à laquelle elle le destine. Les motifs moraux qu'on lui propose pour être vertueuse sont en effet les vrais, et les plus propres à faire impression, principalement sur cette classe qui, jouissant dans la société des principaux avantages, est plus intéressée qu'une autre à en observer les lois écrites et non écrites.
Je suis avec le plus profond respect, etc.