<516>la suite nécessaire de la disposition non moins nécessaire de nos organes, et de l'effet non moins nécessaire que l'action des autres êtres produit en nous. Si les pierres savaient qu'elles tombent, et si elles y avaient du plaisir, elles croiraient tomber librement, parce qu'elles tomberaient de leur plein gré. Mais je ne pense pas, Sire, que, même dans le système de la nécessité et de la fatalité absolue, qu'il me paraît bien difficile de ne pas admettre, les peines et les récompenses soient inutiles. Ce sont des ressorts et des régulateurs de plus, nécessaires pour faire aller la machine et pour la rendre moins imparfaite. Il y aurait plus de crimes dans un monde où il n'y aurait ni peines ni récompenses, comme il y aurait plus de dérangement dans une montre dont les roues n'auraient pas toutes leurs dents.
V. M., Sire, veut bien me conduire par la main dans ce labyrinthe d'obscurités philosophiques. Mais, grâce à elle, j'entrevois enfin la clarté, et je me vois arrivé à un objet sur lequel j'ai le bonheur d'être absolument d'accord avec elle; c'est sur la nature et les progrès de la religion que l'Europe professe. Il me paraît évident, comme à V. M., que le christianisme, dans son origine, n'était qu'un pur déisme; que Jésus-Christ son auteur n'était qu'une espèce de philosophe, ennemi de la superstition, de la persécution et des prêtres, prêchant aux hommes la bienfaisance et la justice, et réduisant la loi à aimer son prochain, et à adorer Dieu en esprit et en vérité. Tel était le premier état de cette religion. C'est d'abord saint Paul, ensuite les Pères de l'Église, enfin les conciles, malheureusement appuyés par les souverains, qui ont changé cette religion. Je pense donc qu'on rendrait un grand service au genre humain en réduisant le christianisme à son état primitif, en se bornant à prêcher aux peuples un Dieu rémunérateur et vengeur, qui réprouve la superstition, qui déteste l'intolérance, et qui n'exige d'autre culte de la part des hommes que celui de s'aimer et de se supporter les uns les autres. Quand on aurait une fois bien inculqué ces vérités au peuple, il ne faudrait pas, je crois, beaucoup d'effort pour lui faire oublier les dogmes dont on l'a bercé, et qu'il n'a saisis avec une espèce d'avidité que parce qu'on n'y a rien substitué de meilleur. Le peuple est sans doute un animal imbécile qui se laisse conduire