<524>V. M. m'en a fait un autre dont je ne suis pas moins reconnaissant; c'est celui de sa très-plaisante, très-poétique, très-spirituelle et très-philosophique Facétie.a Je l'ai lue, Sire, et relue plusieurs fois, toujours avec un nouveau plaisir; et je me disais, en me donnant des coups de poing à la tête : Maudit géomètre, triste ressasseur d'x et d'y, que n'as-tu le talent des vers plutôt que celui des z! Tu emploierais bien mieux ton temps à mettre en vers cette Facétie charmante; et puis, je me consolais en disant : Cependant la Facétie n'y perdra rien, si l'auteur le veut; car qui peut mieux mettre en vers que lui ce qu'il a déjà si bien exprimé en prose? Je ne doute pas que V. M. n'ait déjà envoyé ce charmant ouvrage au grand et mortel ennemi du fanatisme, qui a l'honneur d'être si glorieusement célébré par le philosophe des rois et le roi des philosophes. O mon cher Voltaire! quelle douce et consolante satisfaction que celle dont tu vas jouir! Je ne te l'envie pas, car qui est digne de la partager avec toi?
Ce même Voltaire me mande, Sire, que V. M. lui a envoyé des vers charmants de la part du roi de la Chine.b Que ne puis-je les avoir, pour les joindre à la Facétie! Y aurait-il de l'indiscrétion à les demander à V. M.?
Je vois que quand elle m'a fait l'honneur de m'envoyer son Rêve, qui n'est assurément pas un conte à dormir debout, elle n'avait pas encore reçu l'ennuyeuse et longue rapsodie philosophique par laquelle j'ai répondu si faiblement à son excellente lettre métaphysique du 1er novembre dernier. Si je ne raisonne pas aussi bien que V. M. sur ces matières épineuses et sur bien d'autres, j'ai du moins, Sire, la satisfaction de voir que je pense à peu près comme elle, et j'aime mieux être ignorant avec elle que d'en savoir si long avec l'auteur du Système de la nature sur des choses où l'on ne sait rien.
On dit qu'on a présenté à V. M. une lunette de M. Béguelin. Elle doit être excellente, si elle ressemble à ses mémoires sur cet objet, que j'ai lus avec beaucoup de plaisir et de profit, et dont je puis d'autant mieux apprécier le mérite, que je me suis occupé
a Facétie à M. de Voltaire. Rêve. Il en est fait mention ci-dessus, p. 575.
b Vers de l'empereur de la Chine, t. XIII, p. 43-46, et t. XXIII, p. 199 et 200.