<539>dans une source de bonne humeur, venez chez nous; je le souhaite, je vous y exhorte; vous y vivrez plus tranquille et plus heureux. Sur ce, etc.
102. DE D'ALEMBERT.
Paris, 14 juin 1771.
Sire,
Les philosophes qui aiment à rire, et ce ne sont pas les moins philosophes, doivent être très-obligés à l'abbé Nicolini de leur avoir procuré le bref édifiant du vicaire de Dieu en terre au pontife de son envoyé Mahomet. Je ne suis pourtant point étonné de la bonne intelligence qui règne entre eux; les imans et les muftis de toutes les sectes me paraissent plus faits qu'on ne croit pour s'entendre. Leur but commun est de subjuguer par la superstition la pauvre espèce humaine; ils ne diffèrent que par l'espèce de bride qu'ils mettent à leur monture, et ils pourraient se dire comme les médecins de Molière : Passe-moi l'émétique, et je te passerai la saignée.a Mais je soupçonne le révérendissime père en Dieu Ganganelli d'avoir un secrétaire des brefs qui en sait plus long que lui, et qui se moque de ce que le pape cordelier lui dicte. On assure même que ce secrétaire des brefs est tout près de jouer un vilain tour à la chrétienté en procurant la paix aux schismatiques et aux incirconcis, qui s'égorgent sans savoir pourquoi. Il est vrai que ce mauvais tour à la chrétienté sera un grand bien pour l'humanité, qui en bénira le secrétaire, et qui le remerciera de ce qu'il ne se contente pas de faire rire les philosophes, et de ce qu'il veut encore essuyer les larmes de tant de malheureux.
V. M. fait donc l'honneur à la très-plaisante nation française
a Desfonandrès dit, dans l'Amour médecin, par Molière, acte III, scène I : « Qu'il me passe mon émétique pour la malade dont il s'agit, et je lui passerai tout ce qu'il voudra pour le premier malade dont il sera question. »