<551>couplet; si les impôts haussent, malheur aux traitants dont les noms peuvent entrer dans leurs vers! Aussi se consolent-ils de tout; ils n'ont pas tort, je me range de leur avis. Il y a du ridicule à s'affliger de choses passagères dont le propre est l'instabilité. Si Démocrite en pleure, Héraclite en rit. Rions donc, mon cher d'Alembert, vous de vos finances, moi de la mauvaise année, de ma goutte, etc., etc. C'est le parti que j'ai pris, et je m'en trouve bien. A peine ai-je été délivré de mes grandes douleurs, que je me suis diverti sur le sujet des confédérés de la Pologne.a Je me suis amusé à les peindre au vrai; je vous envoie quelques chants de ce poëme. Je ne dis pas qu'il soit bon; c'était comme un remède qui, en faisant diversion à mes maux, les a suspendus. Je souhaite qu'il vous guérisse de vos vapeurs, qu'il vous fasse oublier pour quelques moments vos embarras, et que vous vous souveniez, en le lisant, que ce sont des vers d'un malade et d'un homme qui a dépassé le demi-siècle de dix ans.
Vous me parlez du peu d'honneur où sont à présent les lettres en France. Je ne crois pas que cela soit général en Europe; mais convenez avec moi que bien des gens de lettres donnent lieu par leur conduite à la mésestime où ils vivent. Le gros du monde, qui ne réfléchit point, confond le caractère et le talent de l'artiste, et du mépris de ses mœurs il passe à celui de son art. On croit, parce que les connaissances n'adoucissent et ne corrigent pas le caractère des plus savants, qu'un grand nombre abuse même de ses connaissances, qu'il est inutile d'apprendre et de savoir, que les lumières ne servent qu'à une vaine ostentation, et, puisqu'il n'en revient aucun avantage, qu'elles sont inutiles à la société. Ce raisonnement est géométriquement faux, parce que si l'on voulait condamner toutes les bonnes institutions à cause de l'abus que le monde en fait, il n'en resterait aucune. Que voulez-vous que le public pense, lorsqu'il voit des écrits du même auteur se contredire, qu'on discerne ce que sa plume a librement écrit de ce que sa plume vénale a barbouillé, qu'on voit des libelles infâmes paraître contre le gouvernement, et des cyniques effrontés qui mordent indifféremment tout ce qu'ils rencontrent? que dans des ouvrages philosophiques on retrouve les
a Voyez t. XIV, p. 211-271, et t. XXIII, p. 231 et suivantes.