<585>d'ici, sinon qu'on m'a donné un bout d'anarchie à morigéner? J'en suis si embarrassé, que je voudrais recourir à quelque législateur encyclopédiste pour établir dans ce pays des lois qui rendraient tous les citoyens égaux, qui donneraient de l'esprit aux imbéciles, qui déracineraient l'intérêt et l'ambition du cœur de tous les citoyens, et qui ne présenteraient qu'un fantôme de souverain qu'on mettrait dehors au premier ordre, où personne ne connaîtrait de taxes ni d'impôts, et qui se soutiendrait de lui-même. Voilà les hautes pensées qui m'occupent maintenant. Quelque beau que soit ce gouvernement, je désespère de mon peu de capacité pour le monter sur le pied que vos savants législateurs (qui n'ont jamais gouverné) prescrivent. Enfin, il en arrivera ce qu'il pourra, et l'on me tiendra compte de ma bonne volonté, à peu près comme à un écolier qui veut donner des leçons dans l'absence de ses maîtres, et qui, ne les ayant pas assez bien comprises, les rend de travers.
Portez-vous bien, conservez votre santé, pour que j'aie encore le plaisir de vous voir. Sur ce, etc.
122. DE D'ALEMBERT.
Paris, 20 novembre 1772.
Sire,
Je viens de recevoir la belle médaille que Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'envoyer, et qui a pour objet les nouveaux États qu'elle vient d'acquérir. La légende Regno Redintegrato prouve que V. M. n'a fait que rentrer dans des possessions qui lui ont appartenu autrefois. La voilà, si je ne me trompe, maîtresse en grande partie du commerce de la Baltique, et j'en fais compliment à cette mer, qui n'a point, ce me semble, encore eu un maître si couvert de gloire; j'espère qu'elle s'en trouvera bien, et l'Europe aussi, quant au commerce qui en dépend, et je souhaite ardemment pour l'un et pour l'autre la continuation des