<589>La matinée, des visites, un déjeuner, ensuite le spectacle; de là au jeu, au souper, encore jeu jusqu'à deux heures du matin, puis bonnes aventures; ensuite on se couche; on se lève à onze heures; ainsi tous les moments sont pris, et l'on est fort occupé sans rien faire. Mais je ne sais à quoi je pense. Ce n'est certainement pas à moi à vous faire la description de la vie de Paris, que vous connaissez mieux que moi. L'éclat que la France jeta au siècle de Louis XIV était trop grand pour pouvoir se soutenir longtemps; il y a un certain point d'élévation qu'il ne nous est pas possible de surpasser. Les matières les plus intéressantes sont épuisées, il ne reste plus qu'à glaner sur les pas de ceux qui ont fait d'amples moissons; et avec un génie aussi élevé que le leur on ne les égalerait pas, parce que le succès des ouvrages dépend en grande partie du choix judicieux de la matière qu'on traite. A présent, ce qui me dégoûte de cette petite correspondance littéraire que j'ai entretenue en France, ce ne sont pas ceux qui écrivent, mais les matières qui leur manquent. Lorsqu'un Fontenelle, un Voltaire, un Mairan, un Crébillon encore, et même l'auteur de Vert-Vert, composaient,a c'était un plaisir d'apprendre des nouvelles de la France, qui étaient celles du Parnasse, parce que les ouvrages de ces auteurs méritaient d'être lus par tout le monde; mais aujourd'hui qu'il ne paraît que des compilations ou des recueils de vingt-trois mille six cent trente-trois grands hommes que la France a produits, et de huit mille cinq cent soixante-six femmes illustres, il n'y a plus moyen de soutenir les journaux qui en font les extraits. Qui, par exemple, s'avisera de s'instruire de la Méthode nouvelle de donner des lavements, d'un Nouvel art de raser, dédié à Louis XV pour lui apprendre à se faire la barbe lui-même, de dictionnaires et d'encyclopédies en tous genres? Tout cela me cause des dégoûts, et comme je n'entretiens plus de correspondant à Athènes depuis qu'elle est devenue Sétines, je n'en veux plus avoir à Paris, parce qu'on n'y trouve plus la marchandise dont je fais cas; mais cela ne m'empêche pas de dormir. Souvenez-vous que le sommeil et l'espérance sont les deux calmants que la nature a daigné


a Voyez t. XI, p. 57 et 58; t. XX, p. I et II, p. 1-12; t. XXIII, p. 268.