<XIX>au-dessous du médiocre, puisque ses revenus ne dépassaient pas mille sept cents livres. On trouve la preuve de tous ces faits dans la correspondance de Frédéric avec Darget,a alors à Paris, et de d'Alembert avec le marquis d'Argens, qui était à Potsdam, enfin dans une lettre de Maupertuis à l'abbé de Prades, lecteur du Roi, lettre datée de Paris, 25 mai 1753. Darget, Maupertuis et d'Argens avaient été chargés par le Roi d'engager d'Alembert à se rendre à Potsdam. La rigueur du climat du Nord, l'exemple des tracasseries suscitées par Voltaire à Maupertuis, un scrupule de délicatesse à l'égard de ce dernier, enfin son attachement à ses amis, ainsi qu'à cette obscurité et à cette retraite si précieuse aux sages, telles furent les excuses que d'Alembert fit valoir. Les engagements qu'il avait pris pour l'Encyclopédie l'obligèrent même à refuser, en 1753, de venir passer quelques mois à Berlin. Cependant il alla rendre ses devoirs au Roi à Wésel, où il arriva le 17 juin 1755, et il séjourna à Potsdam, auprès de lui, du 22 juin jusqu'à la mi-août 1763.b
Lorsque d'Alembert eut refusé de se charger de l'éducation du grand-duc de Russie avec cent mille livres de rente, Frédéric écrivit au marquis d'Argens, le 1er mars 1763 : « J'applaudis fort à cette marque évidente de son désintéressement, et je crois qu'il a pris un parti sage de ne point s'exposer à la fortune vagabonde. » Lors de son séjour à Paris, en 1782, le grand-duc exprima en personne à d'Alembert le regret qu'il avait eu de ne point le posséder à Saint-Pétersbourg.a
Obligé de renoncer à la société du savant qu'il estimait à si haut point. Frédéric jouit du moins de sa correspondance.
Les lettres qu'il échangeait avec Voltaire et d'Alembert étaient pour lui une source intarissable de jouissances; de leur côté, ils regardaient ce commerce avec le Roi comme une bonne fortune pour eux-mêmes
a Voyez t. XX, p. 37, 38, 40, 41, 42, 57 et 63.
b Frédéric parle de cette visite dans sa lettre à la duchesse de Saxe-Gotha, du 22 juillet 1763, t. XVIII, p. 261, et dans ses lettres à son frère Henri, du 11 et du 16 juillet 1763. D'Alembert, de son côté, a donné une relation de son séjour à Potsdam dans les lettres qu'il écrivit à Mlle de Lespinasse pendant qu'il était auprès de Frédéric. Le recueil de ces lettres inédites se trouve à Paris, parmi les manuscrits de la Bibliothèque impériale, et M. Sainte-Beuve en a tiré parti dans l'article Frédéric le Grand, littérateur, qu'il a inséré dans le Constitutionnel du lundi 16 décembre 1850, et qu'il a fait réimprimer dans ses Causeries du Lundi, t. III, p. 144-159.
a Voyez la lettre de d'Alembert à Frédéric, du 21 juin 1782.