<XX>et pour les lettres. La correspondance de ces trois hommes célèbres est une source précieuse pour l'étude du cœur humain et pour l'histoire du temps. Celle de Frédéric avec d'Alembert, entretenue pendant trente-deux ans parallèlement à celle qu'il eut avec Voltaire, est le digne pendant de celle-ci, soit pour la célébrité des correspondants, soit pour les sujets traités. Le caractère des deux correspondances diffère autant que le caractère même des deux amis littéraires de Frédéric. Autant la verve spirituelle, l'élégante vivacité et les allures aisées de l'auteur de la Henriade intéressent l'esprit, autant la noble simplicité et la droiture du philosophe mathématicien attachent et réchauffent le cœur; et Frédéric sait toujours prendre avec un tact merveilleux le ton qui convient soit à l'individualité de chacun de ces deux hommes distingués, soit aux circonstances dans lesquelles il leur adresse ses remarquables lettres.b

Frédéric fut plus de trente-sept ans en correspondance avec d'Alembert II écrivait toutes ses lettres de sa main, mais il les faisait copier par de Catt ou par Villaume. N'envoyant jamais à d'Alembert que ces copies, il en gardait les auto graphes, qui se sont trouvés, formant six gros paquets, dans la possession du marquis Lucchesini, un des derniers amis du Roi.a Ces lettres de Frédéric, conservées soigneusement par d'Alembert, furent remises, après la mort de celui-ci, à Claude-Henri Watelet, de l'Académie française, qu'il avait nommé un de ses exécuteurs testamentaires. Watelet étant décédé le 12 janvier 1786, elles devaient être livrées à Condorcet, l'autre exécuteur testamentaire; mais le ministre d'État de Vergennes les fit saisir et brûler avant que Condorcet, qui s'adressa au Roi pour faire valoir son droit, en obtînt l'autorisation de Frédéric.b Ce prince, en conservant ses autographes, a sauvé le plus beau monument qui pût honorer la mémoire de son digne ami.

La correspondance du Roi avec d'Alembert a été publiée pour la première fois dans les Œuvres posthumes de Frédéric II, Berlin, 1788. Le tome XI contient les quatre-vingt-quatorze lettres écrites par le Roi du 24 mars 1765 au 23 mars 1782; le t. XII en donne,


b Voyez t. XVI, p. 1 et 11.

a Voyez l'ouvrage du chevalier de Zimmermann : Ueber Friedrich den Grossen und meine Unterredungen mit ihm kurz vor seinem Tode. Leipzig, 1788, petit in-8, p. 178 et 179 (grand in-8, p. 195 et 196).

b Voyez, dans le volume suivant, les correspondances de Frédéric avec Grimm et avec Condorcet.