16. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Potsdam, 2 décembre 1763.
Madame ma sœur,
J'ai reçu la lettre de Votre Altesse Royale avec une satisfaction infinie. Mais, madame, vous voulez que je sois l'avocat de l'impératrice de Russie, et que je plaide sa cause. V. A. É. sait trop bien que chacun ne peut répondre que de lui. Il semble qu'on est décidé en Russie sur l'élection d'un Piaste; cela me paraît clair. Vous verrez vous-même, madame, par le rapport de votre envoyé, quelle est la façon de penser de l'impératrice de Russie. Tout ce que je sais par rapport aux constitutions de ce royaume est que les étrangers n'ont aucun droit de se mêler de l'élection de ses rois, hormis ceux qui ont garanti les constitutions, et qui peuvent être appelés par un parti qui s'appuie sur ses lois. Pour moi, madame, je ne suis pas de ce nombre. Je n'ai rien garanti à la Pologne; mais je vous confesse naturellement que je ne voudrais pas, à l'occasion de ce qui peut y arriver, me brouiller avec l'impératrice de Russie. Les motifs qui font agir cette princesse se découvriront peut-être bientôt, et mes vœux se bornent, madame, à ce que cette élection ne trouble pas le repos de l'Europe. V. A. R. sait que les causes des grands princes ne se plaident pas, comme celles des particuliers, à des tribunaux civils. La jurisprudence des souverains est ordinairement le droit du plus fort, et le plus faible, s'il est prudent, ne doit pas se commettre à une lutte où il doit avoir le dessous. D'ailleurs, madame, si vous ne trouvez pas mauvais que je vous parle tout franchement, ne croyez-vous pas que l'Impératrice ait un fort parti en Pologne? Ne croyez-vous pas que ce parti, prêt à être soutenu par une armée qui est sur les frontières, n'ait la supériorité? Vous connaissez le génie des Polonais, fiers dans la sécurité, et lâches dans le danger; comment pouvez-vous donc espérer, madame, que cette nation donne sa voix à l'Électeur votre époux, dès qu'elle verra que cela est contraire aux intentions de l'Impératrice? Et, supposé que vous y eussiez un parti faible, qui le soutiendra? <57>A peine la guerre est-elle finie, à peine les souverains peuvent-ils penser à l'intérieur de leurs États, où ils doivent leurs principaux soins; qui voudra donc se mêler des affaires de la Pologne? Non, madame, tout ceci me ramène à ce que j'ai eu l'honneur de vous écrire si souvent : ou il faut gagner l'esprit de l'impératrice de Russie, ou il faut renoncer pour cette fois à vos projets. Et pour le premier, je m'explique peut-être avec trop de sincérité, mais je ne crois pas, madame, qu'il vous sera possible de faire changer de sentiment à cette princesse. Je ne saurais vous en dire davantage, mais vous me comprendrez avec le temps. V. A. R. trouvera alors elle-même que je lui ai dit la vérité. Je voudrais, madame, vous entretenir sur des sujets plus agréables; mais une princesse aussi éclairée que V. A. R. exige qu'on lui parle avec franchise. J'ai l'honneur d'être avec la plus haute estime, madame, etc.