92. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.
Berlin, 20 décembre 1767.
Madame ma sœur,
Votre Altesse Royale voudra que je commence ma lettre par les sincères remercîments de la faveur qu'elle m'a si noblement accordée. Votre portrait sera chez moi considéré comme celui d'un très-grand homme; j'aime à la passion le génie, et je vous avoue, madame, que j'en suis l'enthousiaste. Vous vous plaisez, madame, de me pousser sans cesse au point de faire mon apologie. Vous le voulez, je me justifierai donc encore. Mais, madame, mes raisons sont si victorieuses, que je ne crains pas de réduire votre modestie au silence. V. A. R. m'oblige de défendre une thèse que je veux soutenir en forme.
Vous conviendrez, madame, que ceux qui aiment les sciences aiment ceux qui les cultivent avec succès; vous conviendrez encore que la vertu est aimable par elle-même, que le mérite l'estime, et que le vice ne peut lui refuser son suffrage. Si donc on trouve réunis les arts et les vertus en une personne, est-il possible de s'empêcher de l'aimer? Cet amour n'est pas de cette espèce dont la pudeur s'effarouche, ce n'est pas cette flamme qui porte l'incendie dans le cœur des amants, mais un penchant irrésistible, accompagné d'admiration. Voilà, madame, le sentiment que vous réveillez dans mon âme, et qu'aucune puissance n'y <147>peut détruire. Je respecte trop votre modestie pour vous dire rien de personnel sur ce que je viens d'avancer; pour moi, j'en trouve l'application si simple, qu'elle me confirme dans mes sentiments. Votre indulgence ne veut point m'ôter l'espérance flatteuse qui règne en mon esprit, et vous m'ouvrez, madame, une perspective qui m'enchante. Que n'êtes-vous déjà à Pretzsch! Et pourquoi retarder le plus beau jour de ma vie? Mais votre sage tutelle fait tant de bien à la Saxe, que je ne dois pas regretter les moments que vous employez pour la félicité de ce peuple, pour des instants qui combleraient mes vœux. Les chrétiens ne parviennent au ciel, à ce que l'on prétend, qu'en redoublant de foi et de persévérance; voilà mon cas; j'espère, et je me résigne. Votre providence disposera de tout selon qu'elle le jugera le plus avantageux à mon salut. Avec ces sentiments, vous voyez, madame, qu'on ne peut joindre plus de soumission à une admiration plus sincère, et que rien ne peut vous enlever les hommages de celui qui sera à jamais, etc.